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Clovis, Constantin-le-Grand, saint Dominique, et de faire du martyrologe la liste de ses damnés. Ah ! je me souviens qu’au Campo Santo de Pise, les peintres des XIIIe et XIVe siècles ont mis aussi des papes, des cardinaux et des moines dans l’enfer qu’ils ont peint sur les murailles de cet admirable cimetière. Mais quelle différence ! Quand les peintres du XIIIe siècle jetaient hardiment dans les flammes éternelles des papes, des cardinaux et des moines, ils croyaient à l’enfer ; ils croyaient à ces flammes éternelles où ils précipitaient leurs ennemis. Ce n’était pas un vain trait d’ironie ; c’était une protestation solennelle contre des pontifes prévaricateurs ; c’était un appel à la vengeance de Dieu. Opprimés par la tyrannie, faibles et n’ayant pour armes que leurs pinceaux et leur colère, ils dénonçaient leurs tyrans au monde et à Dieu, et ils invoquaient la justice de cet enfer même que prêchaient leurs oppresseurs. J’aime alors et je comprends ce que veulent dire ces moines et ces cardinaux jetés en enfer ; mais Voltaire, que veut-il ? L’enfer n’est pour lui qu’un mot. Qu’est-ce donc que ses damnés ? Est-ce une punition qu’il veut infliger ? Singulier juge, qui ne croit pas à la loi qu’il applique ! Censeur étrange, qui rit de la sentence même qu’il prononce !

Ainsi voilà déjà trois sentimens sacrifiés : le sentiment chevaleresque, le sentiment patriotique, le sentiment religieux. Eh bien ! je consens pour un instant à ne pas les regretter. Qu’ils périssent, si cela est possible, qu’ils périssent avec l’ancien ordre social qu’ils ont longtemps protégé et honoré : mais il est d’autres sentimens qui appartiennent à tous les temps et à tous les pays, qui se rattachent aux plus nobles comme aux plus simples devoirs de l’humanité, qui font enfin qu’on est fils, époux et père, et qu’il y a une société et une famille régulière, et non une brutale promiscuité. Disons, je le veux bien, disons adieu à l’ancien ordre social ; sacrifions la féodalité et ne la regrettons même pas sous son nom de chevalerie ; oublions aussi, quoique le sacrifice soit plus pénible, oublions la gloire de l’ancienne France, et mettons les Anglais au-dessus des Français ; immolons même au ridicule le sentiment religieux ! mais les sentimens qui maintiennent et sauvent la famille, ce qui fait, je ne dis pas le gentilhomme, le guerrier ou le moine, mais l’honnête homme, mais l’homme simple et droit qui ne veut avoir à baisser les yeux devant personne, comment ces saints et respectables sentimens sont-ils traités dans la Pucelle ? Qu’est-ce que ces amours sans cesse promenés de l’un à l’autre ? Qu’est-ce que cette prostitution universelle et ce pêle-mêle. du libertinage ? De tous les vices de la débauche, y en