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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/715

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THÉÂTRE FRANÇAIS.

talent triomphe tôt ou tard, car il n’a qu’à se montrer pour qu’on le reconnaisse. Celui qui me dirait que Mlle Rachel est l’objet d’un caprice du public, et qu’elle ne tiendra pas ses promesses, je ne lui répondrais qu’une chose : mon esprit peut porter un faux jugement, mais quand je suis ému, je ne saurais me tromper ; je puis lire ou écouter une pièce de théâtre et m’abuser sur sa valeur, mais, eussé-je le goût le plus faux et le plus déraisonnable du monde, quand mon cœur parle, il a raison. Ce n’est pas là une vaine prétention à la sensibilité, c’est pour vous dire que le cœur n’est point sujet aux méprises de l’esprit, qu’il décide à coup sûr, sans réplique, sans retour, que ni brigues, ni cabales ne peuvent rien sur lui, que c’est, en un mot, le souverain juge. Voilà ce qui me donne la hardiesse de répéter ce que j’ai déjà dit de Mlle Rachel, qu’elle sera un jour une Malibran. Voilà pourquoi j’ai vu avec peine, avec tristesse, qu’on l’ait attaquée ; voilà enfin pourquoi il me semble que, si peu de crédit qu’on ait, il faut la défendre autant qu’on le peut, et se garder surtout de vouloir détruire, dans le cœur d’une enfant, le germe sacré, la semence divine, qui ne peut manquer de porter ses fruits.


Alfred de Musset.