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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/724

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REVUE DES DEUX MONDES.

livraison prochaine, de revenir sur le parallèle d’Horace et de Virgile que l’un de ces maîtres a si ingénieusement tracé et revêtu d’une si élégante parole. Mais nous croyons devoir emprunter au brillant discours de M. Saint-Marc Girardin un passage où la vive éloquence du professeur le dispute à la sagacité du critique :

« Je ne conteste pas à Catarina le mérite d’exprimer des sentimens naturels. Je sens là l’horreur de la mort et l’amour de la vie ; mais, si j’ose dire ce que je pense, j’entends plutôt dans cette scène le cri du corps déjà livré aux angoisses de l’agonie que le cri de l’ame. C’est la chair qui se révolte contre la mort ; mais c’est une révolte toute matérielle et toute physique : l’ame n’y est pour rien. Catarina me touche, mais c’est le corps qui parle au corps ; ce n’est pas le cœur qui parle au cœur. Je vois les sensations du condamné à mort, je vois la chair tressaillir, le visage pâlir, les membres trembler ; j’assiste à une agonie ; mais pourquoi ne me montrez-vous que la mort matérielle ? Pourquoi ne me donnez-vous que la moitié de l’homme ? Quand l’homme meurt, il y a un corps destiné au sépulcre et qui s’en épouvante ; mais il y a aussi une ame qui souvent sait surmonter les horreurs de l’agonie et qui à ces derniers et suprêmes instans, fait éclater une force et une grandeur qui tient déjà du ciel. Pourquoi me cachez-vous la moitié du tableau et la plus belle ? Pourquoi des émotions de l’homme mourant supprimez-vous les plus nobles, les plus élevées, celles qui s’adressent à la vraie pitié de l’homme, à la pitié qui se concilie avec l’admiration et le respect, et non à celle qui touche au dégoût ? J’aime qu’Iphigénie regrette la lumière si douce à voir ; j’aime la peur des ténèbres souterraines (Euripide) ; j’aime ce regret de la vie ; mais dans ses plaintes, il y a autre chose que la peur toute physique et toute matérielle de la mort ; et quand elle se résigne, quelle noblesse, quelle dignité ! que ce dernier regard et ce dernier baiser qu’elle veut emporter de son père émeuvent profondément ! Comme cette résignation relève nos cœurs qu’elle a attendris par ses regrets, et les relève sans les fermer, si bien que la pitié qu’elle nous inspire peut se prolonger sans devenir pour nous une sorte de douleur et de malaise ! Comme l’art tempère et purifie la nature ! Certes il y a de la vérité dans les cris et les angoisses de Catarina ; mais c’est une vérité qui est, pour ainsi dire, dans l’ordre des vérités de l’histoire naturelle. Dans les plaintes d’Iphigénie il y a une vérité plus humaine et plus noble. »


V. de Mars