Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/776

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
772
REVUE DES DEUX MONDES.

pour un tel vainqueur. Mais un orage se forma : Napoléon était en Espagne, et de là il eut l’idée d’envoyer douze drapeaux conquis sur l’armée d’Estramadure au corps législatif, comme un gage de son estime. Fontanes, en tête d’une députation, alla remercier l’impératrice : celle-ci, prenant le gage d’estime trop au sérieux, répondit qu’elle avait été très satisfaite de voir que le premier sentiment de l’empereur, dans son triomphe, eût été pour le corps qui représentait la nation. Là-dessus une note, arrivée d’Espagne, comme une flèche, et lancée au Moniteur, fit une manière d’errata à la réponse de l’impératrice, un errata injurieux et sanglant pour le corps législatif qu’on remettait à sa place de consultatif[1]. Fontanes sentit le coup, et dans la séance de clôture du 31 décembre 1808, c’est-à-dire quinze jours après l’offense, au nom du corps blessé, répondant aux orateurs du gouvernement, et n’épargnant pas les félicitations sur les trophées du vainqueur de l’Èbre, il ajouta : « Mais les paroles dont l’empereur accompagne l’envoi de ses trophées méritent une attention particulière : il fait participer à cet honneur les colléges électoraux. Il ne veut point nous séparer d’eux, et nous l’en remercions. Plus le corps législatif se confondra dans le peuple, plus il

  1. Mais il faut donner le texte même, l’incomparable texte de cette note insérée au Moniteur du 15 décembre 1808, et qui résume, comme une charte, toute la théorie politique de l’empire :

    « Plusieurs de nos journaux ont imprimé que S. M. l’impératrice, dans sa réponse à la députation du corps législatif, avait dit qu’elle était bien aise de voir que le premier sentiment de l’empereur avait été pour le corps législatif, qui représente la nation.

    « S. M. l’impératrice n’a point dit cela ; elle connaît trop bien nos constitutions, elle sait trop bien que le premier représentant de la nation, c’est l’empereur : car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation.

    « Dans l’ordre de nos constitutions, après l’empereur est le sénat ; après le sénat, est le conseil d’état ; après le conseil d’état, est le corps législatif ; après le corps législatif viennent chaque tribunal et fonctionnaire public dans l’ordre de ses attributions ; car, s’il y avait dans nos constitutions un corps représentant la nation, ce corps serait souverain ; les autres ne seraient rien, et ses volontés seraient tout.

    « La convention, même le corps législatif, ont été représentans. Telles étaient nos constitutions alors. Aussi le président disputa-t-il le fauteuil au roi, se fondant sur ce principe, que le président de l’assemblée de la nation était avant les autorités de la nation. Nos malheurs sont venus en partie de cette exagération d’idées. Ce serait une prétention chimérique, et même criminelle, que de vouloir représenter la nation avant l’empereur.

    « Le corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait être appelé conseil-législatif, puisqu’il n’a pas la faculté de faire les lois, n’en ayant pas la proposition. Le conseil législatif est donc la réunion des mandataires des colléges électoraux. On les appelle députés des départemens, parce qu’ils sont nommés par les départemens… »

    Le reste de la note ne fait que ressasser les mêmes idées, la même logique, et dans le même ton. Cet injurieux bulletin arriva à travers le vote de je ne sais quelle loi fort innocente (une portion du Code d’instruction criminelle, je crois), qui essuya du coup plus de quatre-vingts boules noires ; ce qui, de mémoire de corps législatif, ne s’était guère vu.