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Notre seul but, ici, est de reconnaître ce que l’émancipation religieuse et la réforme parlementaire ont introduit de germes nouveaux au sein de la société anglaise, et de montrer par combien de brèches à la fois est sapé l’édifice du Church and state. Or, tout inébranlable qu’il apparaisse, celui-ci est visiblement menacé dans son triple fondement, le système administratif et judiciaire, le patronage aristocratique et la prépondérance de l’église ; et si la résistance peut être longue, dès ce moment le résultat définitif ne doit, ce semble, échapper à personne.

La constitution anglaise, comme on l’a déjà dit, ne s’est pas fondée selon les théories des publicistes ; elle vit en dehors de ces théories, et, pour ainsi dire contre elles. L’union du pouvoir administratif et judiciaire s’y présente sous toutes les formes et à tous les degrés de la hiérarchie, depuis le bench des juges de paix jusqu’à la barre de la chambre des lords. La législation civile, amas confus des libres et populaires traditions saxonnes et des lois rigoureuses de la féodalité normande, est un inextricable mélange où des lambeaux de droit ecclésiastique s’unissent à des formules d’actions que la subtilité romaine envierait aux docteurs de Westminster-Hall. Cette incohérente mosaïque ne s’est maintenue jusqu’à nos jours que par l’autorité politique de la magistrature appelée à l’appliquer. Celle-ci, et le barreau de complicité avec elle, ont défendu avec chaleur les mystères des cours de common law et d’équité, comme les fondemens même de leur puissance. Tout ce qui porte perruque en Angleterre, depuis le lord chancelier jusqu’au dernier procureur, a compris que les théories judiciaires de Bentham étaient pour eux plus redoutables que ses théories philosophiques. Ils ont vu dans les codes français de l’empire quelque chose de plus grave que dans le reform-bill, et ils pleurent les fines et les recoveries[1] aussi amèrement, que les bourgs pourris et les corporations fermées. La magistrature et le barreau de Londres, avec ses légions de clercs, d’attorneys et de sollicitors, sont le centre où s’organisent toutes les résistances aux innovations dont l’utilité est le plus manifestement démontrée. Aussi, lorsque le ministère de la réforme a commencé sa mission par attaquer ce corps redoutable, lorsqu’il a simplifié la procédure, prescrit la codification

  1. Formules d’actions civiles supprimées par un bill de lord Brougham. La fine était ainsi appelée parce qu’elle indiquait la fin d’un procès, et que la formule du jugement portait : Hœc est finalis concordia, etc. La recoverie était une action fictive supportée dans tous les cas de substitution. On supposait une revendication prétendue de propriétés faite par un demandeur, qui obtenait gain de cause, et repassait alors la propriété au défendeur libre de toute substitution.