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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/826

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organisation complètement nouvelle sans se rendre compte des résultats prochains d’un tel établissement ? Combien n’est-il pas important d’apprécier un essai destiné à servir de type à la réforme de la plupart des autres services publics ?

Durant le moyen-âge, la population indigente de ce pays, comme celle du reste de l’Europe, avait eu pour ressource, et en quelque sorte pour patrimoine, ces biens de main-morte qui formaient la réserve et comme le fonds commun de toutes les misères humaines. De telles institutions offraient sans doute des inconvéniens graves dans la corruption de l’esprit monastique ; mais quelle loi n’a pas les siens, et quels reproches pourrait adresser à la charité catholique la bienfaisance protestante ? Si le pain distribué à la porte des monastères provoquait quelquefois l’indolence, l’aumône faite au nom de Dieu n’abaissait pas au moins celui qui recevait chaque matin cette manne du ciel. Mais à quelle dégradation profonde de l’humanité ne conduit pas cette taxe forcée qui, pour les riches, fait des pauvres un objet de terreur, qui, pour les pauvres, avait fini par recréer une sorte de glèbe paroissiale, servitude légale dont ils se vengeaient en pullulant comme des bêtes immondes, dernier bonheur compatible avec leur dégradation, bonheur d’autant plus doux qu’il leur apparaissait en même temps comme une vengeance !

L’institution d’un fonds public prélevé par voie d’impôt pour sustenter les pauvres entraîne nécessairement deux résultats corrélatifs. D’une part, elle tarit les sources de la charité privée en remettant à la loi seule le soin de soulager des misères qu’on ne connaît plus que par ce qu’elles coûtent ; de l’autre, elle crée chez les pauvres des habitudes de paresse et de fraude, et leur fait considérer comme un droit ce qu’ils reçoivent de la munificence publique. Assurés que cette ressource ne leur manquera jamais, qu’elle est indépendante de leur bonne conduite aussi bien que de leur reconnaissance, les pauvres reçoivent le salaire de leur oisiveté avec autant d’impassibilité que la loi le leur accorde. Ainsi se propagent l’indolence, l’imprévoyance paternelle, les unions prématurées ou illicites dont les fruits donnent des titres à des secours nouveaux ; ainsi s’organise au sein des sociétés une sorte de lutte intérieure dans laquelle le riche se défend par l’insensibilité contre le pauvre qui l’attaque par la dissimulation. Ces résultats se manifestent plus ou moins partout où domine le principe de la contribution forcée, en Danemark, en Suède, dans le Mecklenbourg, le Wurtemberg, le canton de Berne, etc. Si les effets politiques de la taxe ont été, dans ces contrées, moins désas-