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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

miques et financières dans un intérêt exclusif ; qu’elle fasse cesser le contraste de tant de souffrances avec tant de superflu, et les applaudissemens du monde ne manqueront pas à quiconque avancera cette œuvre. Mais ce spectacle serait bien plus grand encore, si, en entrant dans sa nouvelle carrière, l’Angleterre savait conserver cette forte politique qui contient toutes les factions par le patriotisme, toutes les ambitions individuelles par le respect de soi-même ; merveilleux mécanisme, qui donne à chaque parti une discipline et un chef, impose à chaque homme public l’obligation de représenter une idée, et ne fait du talent une puissance que lorsqu’il exprime un intérêt !

La tâche du publiciste ne consiste pas à mettre en lumière un seul côté des choses humaines pour rejeter tous les autres dans l’ombre ; son admiration pour de belles combinaisons politiques ne lui interdit pas de montrer ce qui se cache de douleurs individuelles sous l’appareil des institutions les plus majestueusement ordonnées. Il a le droit de faire ressortir la grandeur des gouvernemens aristocratiques, en même temps que celui de prouver à quel prix les peuples achètent d’ordinaire l’éclat des destinées que ces gouvernemens leur préparent. Par la même raison, il devrait aussi, ce semble, conserver la faculté de constater tout ce que le gouvernement des classes moyennes garantit de bonheur domestique aux nations, sans être contraint de dissimuler ce qui peut manquer encore à ces classes elles-mêmes pour se trouver tout d’abord à la hauteur de leurs nouvelles destinées. Il doit lui être permis de dire qu’en fait de traditions gouvernementales et diplomatiques, la garde nationale n’est pas le sénat romain, ni même le patriciat d’Angleterre, quoiqu’assurément, et du plus profond de son cœur, il préfère, pour l’humanité, le pacifique avenir que lui prépare la bourgeoisie marchant sous le drapeau de 89, au spectacle grandiose de la politique romaine ou britannique.

C’est pourtant ce droit de dire à tous la vérité toute entière, droit sans lequel la mission de l’historien contemporain serait celle d’un sycophante, que certains critiques prétendent refuser à l’auteur de ce travail. L’écrivain qui a le plus minutieusement recherché dans toute l’Europe les germes du pouvoir de la bourgeoisie, qui a mis le plus de soin à démontrer par l’histoire la légitimité de ce pouvoir lui-même, à signaler dans l’avenir ses conditions et ses formes, celui qui pouvait craindre de se voir imputer à cet égard des préoccupations trop exclusives, s’est entendu accuser d’attaquer les classes moyennes !