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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/848

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pour toutes un mobile de civilisation. L’église de Tromsœ eut encore une autre influence qui, dans un siècle livré aux superstitions, ne laissait pas que d’être assez importante. Elle chassa les Trold et les sorciers du pays : auparavant ils avaient coutume de se réunir à certains jours de l’année sur la montagne située de l’autre côté du port ; le son des cloches, l’hymne religieux, les effrayèrent ; les uns s’enfuirent en Islande ; d’autres, dit-on, ne craignirent pas d’aller jusqu’au Blocksberg.

La situation de Tromsœ auprès d’une rade sûre, au milieu d’une enceinte d’îles nombreuses, entre les riches pêcheries de Finmark et celles de Norland, devait nécessairement favoriser son existence commerciale. Cependant peu de marchands y bâtirent leur demeure, et ce ne fut pendant long-temps qu’un point de réunion périodique et passager. Son existence comme ville date du XVIIIe siècle ; en 1794, elle eut ses priviléges de bourgeoisie et commença à se développer. La guerre de 1808 et 1809, qui porta préjudice à toutes les villes de commerce du Danemark, favorisa celle-ci ; les Russes vinrent lui demander le produit des pêches du nord et lui apportèrent les denrées qu’elle répandit à travers deux grandes provinces. En 1801, on ne comptait encore à Tromsœ que 150 habitans ; aujourd’hui il y en a près de 1400. En 1837, il est entré dans le port de cette ville trente-neuf bâtimens russes, trois hollandais, six danois, cinq hambourgeois, deux suédois, six brêmois. Ils apportaient du blé, du chanvre, des denrées coloniales, et ils sont partis emportant du poisson sec, de l’huile de poisson, des peaux de chèvres, de rennes, de renards, et de l’édredon. Tromsœ est le chef-lieu de Finmark, la résidence de l’évêque et du gouverneur ; le district de l’évêque s’étend jusqu’à l’extrémité du nord ; il doit parcourir à certaines époques tout son diocèse, visiter les écoles, entrer dans toutes les baies où il y a une église. C’est un voyage pénible, auquel il consacre les mois d’été et qu’il n’achève guère que dans l’espace de quatre ans.

Quand je vis cette ville pour la première fois, c’était un dimanche. J’entrai dans une longue rue terminée aux deux extrémités par des montagnes de neige ; en face de moi était le port avec ses lourds magasins et ses bâtimens de commerce, puis, la vieille église posée près de la grève, la mer fuyant dans le lointain, et de tout côté un horizon sévère, des remparts de roc, des cimes élancées, des masses de neige. Les boutiques des marchands étaient ouvertes ; les paysans des environs, les femmes de la ville se pressaient autour du comptoir ; c’était une curieuse chose que de voir au milieu de cette nature sauvage du nord, ces denrées de la civilisation et ce mélange de costumes, de physionomies ; la jeune fille de Tromsœ habillée comme une grisette, le matelot russe avec sa longue barbe et ses cheveux taillés en forme de couronne, le pêcheur de Finmark mêlant à son vêtement rustique le vêtement de la cité, et le Lapon portant sa blouse de vadmel gris, son bonnet bleu pointu, sa ceinture de cuir ornée de boutons d’étain et ses souliers de peau de renne.

Les Lapons viennent ordinairement ici le dimanche pour assister au service religieux, faire l’échange de leur poisson, de leurs pelleteries, contre les den-