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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/1003

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LA SICILE.

ses soixante-dix-sept éruptions principales, bâtis en partie avec la lave, et, comme pour achever de braver le volcan et ses secousses, ils s’élèvent à une grande hauteur sur des frontons hardis. En outre, les dalles dont la rue est pavée sont de lave noire, et en avançant dans cette cité silencieuse, on aperçoit de temps en temps quelques sombres monumens formés de fragmens de lave, et destinés à perpétuer le souvenir des nombreux désastres dont elle a été le théâtre. Les cendres brunes, les pierres noirâtres, les scories, la terre végétale, enfin toute cette nature en deuil qui s’offrait à nous depuis douze heures que nous parcourions la campagne entre Paternò et Catane, aurait dû nous préparer un peu à ce spectacle ; mais rien ne peut donner à l’avance l’idée d’une ville si belle, si noble et à la fois si lugubre et si désolée. Il me sera impossible d’oublier jamais l’aspect de cette triste magnificence. D’abord, il faut songer que cinq ou six Catanes broyées, calcinées, réduites en cendres, gisent sous vos pieds, et que la route où vos pas se dirigent, en marchant vers la mer, est celle que la lave elle-même a suivie dans la nuit du 23 avril 1669. Cette nuit-là, deux montagnes aussi hautes que le Vésuve s’élevèrent sur l’Etna, et il en sortit deux fleuves de feu qui roulèrent majestueusement vers Catane, en firent disparaître une grande partie, et se répandirent sur un espace de quatorze milles, espace où des campagnes habitées et fertiles furent subitement changées en rochers déserts. Aussi ne peut-on refuser son admiration à l’audace qui a élevé tant de beaux palais, et on ne peut guère en comprendre le but qu’en supposant que les architectes de la nouvelle Catane ont prétendu donner un lit royal au roi des volcans, et conduire la lave à la mer entre deux quais splendides et d’une grandeur digne de lui. Nous vîmes faire des préparatifs pour éclairer cette belle et immense rue au moyen du gaz, et deux rangées de lanternes élégantes s’élevaient déjà depuis la mer jusqu’à l’Etna. Imaginez le singulier spectacle, monsieur ; un volcan éclairé par le gaz !

À Naples, on admire le Vésuve, qui forme un beau point de vue à l’horizon ; mais à part même sa dimension, qu’on ne peut comparer à celle de l’Etna, le Vésuve est loin de Naples, et l’engloutissement de Pompéia, d’Herculanum, de Torre-del-Greco, ne peut menacer Naples, qui a placé Portici comme une victime dévouée entre elle et le volcan. À Catane, au contraire, le sol tremble sous vos pas, et sous chaque demeure on trouve les voûtes de lave qui se sont formées sur les demeures plus anciennes que le volcan a détruites. Mais continuons de traverser cette cité plus belle que Naples, que Palerme, et