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barras la résolution de M. Barrot. Son passé, nous n’en sommes pas solidaires, mais nous le concevons : nous ne l’avons pas toujours approuvé, mais nous l’honorons comme toute conviction sincère, désintéressée, soutenue par un beau talent et un caractère élevé. Nous l’avons déjà dit : au fort d’une révolution, lorsque par un entraînement naturel les hommes que la révolution suscite essaient de s’élancer au-delà du droit et du possible, le principe conservateur, qui, au lieu d’être amené à une transaction, se voit menacé d’une défaite, se met en défense et proportionne, s’il le peut, la résistance au danger, quelquefois à ses alarmes. Son langage austère, ses mesures énergiques étonnent et blessent des hommes honorables. Conservateurs au fond, puisqu’eux aussi ne veulent que les résultats de la révolution accomplie et non une révolution nouvelle, ils sont cependant peu sensibles aux dangers de l’élan révolutionnaire et se persuadent de pouvoir contenir les partis par la noblesse des sentimens et la puissance de la parole. De là un schisme et à proprement parler un malentendu. Bientôt des méfiances s’élèvent entre des hommes faits pour s’entendre, leur langage s’aigrit, s’emporte, la guerre éclate ; les libéraux confians se trouvent refoulés vers les adversaires du système établi, et les libéraux défians ne tardent pas à être proclamés ennemis de toute liberté.

Cependant, qu’on le remarque, ces mêmes hommes qui se déchiraient dans l’arène politique se respectaient dans la vie privée ; ils se portaient des coups violens à la tribune, ils s’abordaient paisiblement dans la salle des conférences. On aurait tort d’en conclure que ce n’était donc là qu’une comédie. Les hommes, en général, sont plus comédiens qu’ils ne le pensent, et beaucoup moins qu’on ne le dit. D’un côté, il est vrai que dans leurs paroles et dans leurs actes ils dépassent souvent la mesure de leurs convictions froides et réfléchies, excités qu’ils sont par le retentissement du combat, par les cris de leurs amis, les applaudissemens ou les colères du public, le besoin de vaincre, la rage du succès. D’un autre côté, il est certain que tous les partis sont sincères. Dans tous les rangs, il peut se trouver quelques individus sans convictions, sans principes ; mais un ensemble d’hommes, un parti, quelle que soit sa bannière, dit ce qu’il pense réellement et agit selon ses croyances. Il n’y aurait rien de plus gauche, de plus maladroit qu’un parti que ses directeurs spirituels voudraient façonner à la dissimulation et à la ruse : à peine peut-on lui conseiller avec succès quelque prudence.

Au fond, la gauche constitutionnelle voulait, comme nous, la dynastie et la charte. Ce qui la séparait de nous était la question de la résistance, et, dans la question de la résistance, plus encore la question de fait que la question de droit. Les faits n’avaient pas à ses yeux toute la gravité qu’on leur attribuait ; les dangers lui paraissaient exagérés, les alarmes, déraisonnables.

Le public impartial a bien apprécié le fond des choses et les dispositions des personnes. Il y a long-temps qu’on entend dire : si tel ou tel arrivait aux affaires, il gouvernerait comme ceux qui gouvernent. On ne veut pas dire par là que tous les hommes ont les mêmes lumières, la même expérience, la même