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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/129

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DU THÉÂTRE EN ANGLETERRE.

les grandes circonstances. Ordinairement, on choisissait une cour, on y dressait un échafaudage, les fenêtres armées de barreaux servaient de loges grillées, les balcons jouaient le rôle de nos avant-scènes, et l’on donnait la pièce entre midi et quatre heures. Les gamins montaient sur les toits. En Angleterre, la partie matérielle du théâtre, sous Shakspeare, ne valait guère mieux on voyait les gens comme il faut s’étendre sur les tapis de la scène, et se battre avec le parterre à coups de pommes et de noisettes ; les décorations employées dans Macbeth et dans Henri VII se composaient d’une galerie avec un balcon et un rideau, laquelle, pratiquée au fond du théâtre, servait, selon l’occasion et la nécessité, de montagne, de clocher, de tour, de fenêtre ; puis d’une machine à trois pans, formant triangle équilatéral, montée sur un axe mobile, et présentant au spectateur, selon les évolutions de l’axe, un arbre peint, une porte de maison et un lambris d’appartement : le public se tenait pour averti. Dans ce berceau pauvreteux sont nées toutes les œuvres de Shakspeare, toutes celles de Calderon et de Corneille ; et ce que j’ai dit de l’influence pernicieuse des accessoires sur l’art dramatique est si profondément vrai, tellement incontestable, qu’à la même époque ou à peu près, la Mirame du cardinal de Richelieu, et les Orbecchi, abominable tragédie italienne, étaient représentées avec un luxe extraordinaire. À mesure que la pompe théâtrale envahit la scène, l’art dramatique recule. Les tragédies de Campistron se parent de mille ornemens dont le Cid n’a pas eu le privilége. Les pièces de Dryden ont besoin d’un matériel magnifique que Shakspeare n’avait pas connu. Cette transition de l’art dramatique réel à l’art théâtral se révèle très ingénument sous Charles II, en Angleterre, et sous la régence du duc d’Orléans, en France. Les amateurs du théâtre imaginent avoir gagné infiniment, parce qu’ils ont corrigé un anachronisme et conquis une vraisemblance de costume. Samuel Pepys, cet excellent journaliste des mœurs anglaises, ne tarit pas en expressions de mépris pour la barbarie ancienne du théâtre shakspearien, comparée à la beauté, à l’élégance, à la vérité, à l’illusion de la scène contemporaine. « Nous avons maintenant des musiciens, dit-il, nous avons des danseuses, nous avons des toiles de fond, nous avons de beaux costumes. »

Hélas ! oui ; mais vous n’avez plus de drame.

Le drame est dans le public bien plus que sur la scène. Il s’éteint lorsqu’un peuple perd cette curiosité ingénue que satisfait le jeu puissant des caractères et des passions. Il tourne alors au sentimental,