Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

l’égard de leurs adversaires déclarés. Un monsignore romain, souvent même un cardinal, serre la main avec effusion à un homme qu’il connaît parfaitement pour déiste ; il ne l’appelle pas athée, et s’il le damne, c’est tout-à-fait mentalement. Le pape reçoit avec une courtoisie singulière les protestans qui lui sont présentés.

Cette tolérance est d’autant plus méritoire qu’elle n’est pas un effet de l’indifférence. Nous ne sommes plus au temps où les grands seigneurs romains, laïcs ou séculiers, récitaient en riant ces vers de Pulci quand on les interrogeait sur leurs croyances :

À dir tel tosto,
Io non credo piu al nero che all’ azzuro,
Ma nel cappone, o lesso, o vuolsi arrosto ;
E credo alcuna volta anco nel burro.
..............
Ma sopra tutto nel buon vivo ho fede,
E credo che sia salvo chi gli crede
[1].

Ne dirait-on pas nos marquis du dernier siècle répétant les prologues de la Pucelle ?

Aujourd’hui la haute société romaine a renoncé à ce ton de légèreté philosophique, et si tous ses membres n’ont pas la foi, du moins tous gardent les apparences, surtout avec les étrangers.

Une autre cause de la modération spirituelle de la bourgeoisie romaine et de son malicieux bon sens, c’est l’état de résignation forcée à laquelle elle est condamnée. Chacun de ces bourgeois de Rome sait bien que le mal est trop invétéré pour qu’aucun remède puisse le guérir ; ce qui existe ne peut pas ne pas exister ; et quand un malheur est inévitable, à quoi bon s’en indigner ? à quoi bon se mettre en colère et s’armer contre les hommes puissans qui gouvernent, si le lendemain de leur mort on court risque de les voir remplacés par de plus méchans qu’eux ? Les Romains, qui, ainsi que nous l’avons vu, se moquent volontiers d’eux-mêmes, ont donc mieux aimé railler leurs gouvernans que guerroyer contre eux ; Pasquin et Marforio ont été leur moyen d’opposition le plus énergique, car leurs colères et leurs vengeances sont toutes intellectuelles, et ils ne connaissent qu’une seule arme : l’épigramme.

  1. À dire le vrai, je ne crois pas plus au noir qu’au bleu ; mais je crois dans un bon chapon rôti ou bouilli. Je crois encore quelquefois au beurre frais… Mais, par-dessus tout, j’ai foi dans le bon vin, et je ne doute pas que tous ceux qui ont cette même croyance ne soient sauvés. (Pulci, Morgante Maggiore, c. XVIII.)