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à exposer notre vie cent fois par jour, et à défier le monstre qui nous attaque avec un pavillon couleur de sang, qui menace de massacrer tous les prisonniers, et de faire du Texas un vaste désert. J’aurai à combattre l’ennemi quand et comme il voudra ; mais je l’attends de pied ferme, et, si mes compatriotes ne viennent pas à mon secours, je suis décidé à périr en défendant la place, et mes ossemens accuseront hautement l’indifférence de mon pays… »

Le malheureux Travis ne fut pas secouru. Le seul renfort qu’il reçut fut un détachement de trente-deux hommes venu de Gonzalès et qui réussit à se glisser dans l’Alamo. L’armée assiégeante, au contraire, s’était accrue du double depuis le commencement du siége. Santa-Anna y avait amené sa division, et il ne fallait rien moins que des forces aussi écrasantes pour emporter la place. Le 6, dans la nuit, Santa-Anna, décidé à vaincre à tout prix, donna l’ordre de monter à l’assaut. On a su plus tard, par un nègre qui le servait, qu’il avait passé la nuit avec son aide-de-camp Almonte dans une extrême agitation. « Cela nous coûtera cher, lui avait dit Almonte quelques instans avant l’assaut. — Peu importe, avait répondu Santa-Anna, il le faut. »

Travis et les siens tinrent parole. L’Alamo fut pris, mais la perte des Mexicains fut énorme. « Encore une victoire pareille, dit Santa-Anna au retour de l’assaut, et c’est fait de nous. » Travis mourut sur la brèche, en tuant l’officier mexicain qui l’avait frappé à mort. Tous ses compagnons périrent de même, les armes à la main. Un seul demanda quartier et fut égorgé. James Bowie fut tué dans son lit, où le retenait une blessure. David Crockett, du Tennessee, l’intrépide chasseur de l’ouest, était au nombre des défenseurs de l’Alamo, et y périt avec les autres. Santa-Anna courut dans cette affaire un grand danger. Le major Evans, commandant de l’artillerie du fort, allait mettre le feu au magasin à poudre, quand il reçut une balle qui le tua, et l’on raconte que, dans sa colère, Santa-Anna perça de deux coups de poignard le cadavre de l’homme qui aurait pu l’ensevelir avec lui-même sous les ruines de la citadelle.

Pendant que Santa-Anna payait si cher la prise de Bejar, Urrea marchait sur Goliad et occupait cette place, que le colonel Fannin avait eu l’ordre d’évacuer. Le lendemain, Fannin, qui n’avait pas plus de cinq cents hommes avec lui, fut attaqué dans la prairie par une division de dix-neuf cents hommes, dont il soutint le choc toute une journée. Mais quoique les Mexicains eussent perdu beaucoup de monde, ils étaient encore trois fois plus nombreux que les Texiens,