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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/271

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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

à son ancienne troupe, οἱ περὶ Αἰσχύλον[1], mais à tous les didascales ou protagonistes, de demander un chœur pour rejouer ses pièces et se présenter avec elles au concours[2]. Eschyle, plaidant aux enfers contre Euripide dans la comédie des Grenouilles, s’écrie « Ma poésie à moi n’est pas morte, tandis que la sienne ne lui a pas survécu. » Cette assertion cessa bientôt d’être vraie. La Grèce ne tarda pas à faire pour Euripide et Sophocle ce qu’elle avait fait pour Eschyle, on autorisa la reprise de leurs pièces. On disait τὰς παλαιὰς τραγωδίας ἀναλαμβάνειν[3], pour indiquer ce genre de représentation que l’on préférait souvent, et avec raison, aux pièces nouvelles[4].

De cet usage peu favorable à ce que nous appelons la propriété littéraire, il résulta une fonction nouvelle, celle d’éditeur ou de metteur en scène pour le compte d’autrui, ce qu’on appela proprement ὑποδιδάσκαλος[5], et quelquefois tout simplement διδάσκαλος[6]. Jusqu’alors on n’avait couronné que le chorège et le poète, ce dernier quelquefois comme poète et en même temps comme acteur. On se trouva conduit à couronner, non plus le poète, mort depuis long-temps, ni son ouvrage, dont le rang était invariablement fixé, mais le tenant lieu du poète, l’hypodidascale, c’est-à-dire l’acteur principal que l’on jugeait seul, indépendamment de l’ouvrage, et qu’on couronnait spécialement pour son jeu. Alors, le nombre des acteurs illustres se multipliant, et les poètes de mérite devenant de plus en plus rares, il arriva que les concours scéniques eurent lieu le plus ordinairement entre acteurs, et non plus, comme autrefois, entre poètes. Un grand nombre de tragédiens et de comédiens éminens, Molon, Archélaüs, Polus, Aristodème, Satyrus, Athénodore, Thessalus, de simples protagonistes qu’ils étaient, devinrent directeurs de troupe, comme l’avaient été Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane. Et non-seulement ces protagonistes-directeurs allaient, aux fêtes solennelles, concourir avec les drames d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, dans les villes et les petits royaumes où l’on n’aurait pu que difficilement se procurer, à toutes les dionysiaques, des tragédies et des comédies nouvelles ; mais ces concours de comédiens obtinrent même à Athènes une vogue immense, quoique souvent les anciens chefs-

  1. Diog. Laert., lib. II, § 43.
  2. Schol., in Aristoph. Acharn., v. 10.
  3. Pseudo Plutarch., Vit. X orat., Æschin., pag. 841, F.
  4. Aristoph., Acharn., v. 10, seq.
  5. Poll., lib. IV, § 106.
  6. De là beaucoup d’équivoques. Je pense que le Sannion, ὁ τοὺς τραγικοὺς χοροὺς διδάσκων, dont il est parlé dans le discours de Démosthène contre Midias (pag. 533, 10, Reisk.), était un de ces metteurs en scène pour le compte d’autrui.