Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

cile de ne pas admettre qu’au moins à Rome sous l’empire, il y ait eu des souffleurs. Festus définit les monitores « qui et in scena monent histriones[1]. » Je ne voudrais, d’ailleurs, pas affirmer que cet usage subsistât déjà sous la république, comme Mme Dacier l’infère trop légèrement de quelques passages de Térence[2]. Il me paraît probable, au contraire, que dans les vers qu’elle commente, le poète romain fait allusion aux monitores, qui de tout temps à Rome étaient chargés de rappeler aux prêtres les formules des sacrifices[3].

Quelquefois les amis de l’auteur assistaient, comme aujourd’hui, aux répétitions générales. C’est probablement dans une de ces réunions, où l’on pouvait donner librement son avis, que Socrate, ami chaleureux d’Euripide, fit recommencer les trois premiers vers de la tragédie d’Oreste[4]. Donat raconte que Térence, assistant à la répétition de son Phormion, remarqua qu’Ambivius Turpio, chargé du personnage du parasite, entrait ivre sur la scène et balbutiait les premiers vers de son rôle en chancelant et en se grattant l’oreille. Très irrité d’abord, le poète se radoucit bientôt et s’écria que c’était bien ainsi qu’il avait conçu le caractère de Phormion[5].

Je dois prévenir ici une objection que l’on a peut-être déjà faite. Il semble qu’il y ait double emploi entre les répétitions générales et les représentations d’essai dont j’ai parlé précédemment et qui devançaient la réception des pièces, au lieu que les répétitions la suivaient. Ce double emploi, ou si l’on veut, cette contradiction, n’est qu’apparente. En cherchant à démontrer l’existence des représentations d’essai, j’ai eu soin de dire qu’elles n’avaient été en usage que pendant la belle époque du théâtre grec, c’est-à-dire quand les poètes étaient à peu près tous directeurs de troupe. On comprend que Sophocle, Aristophane, Euripide, maîtres absolus de leurs comédiens, aient pu exiger d’eux les études nécessaires à l’essai d’un ouvrage qui pouvait n’être pas admis à concourir. On comprend encore que cet usage ait été modifié et qu’on se soit contenté d’une simple lecture, quand les poètes ne furent plus eux-mêmes acteurs et n’eurent plus

  1. Fest., voc. Monitores. — Labus, Inscript. ap. Morcelli dissert. in tesseris theatral., pag. 46.
  2. Terent., Heauton., act. V, sc. I, v. 2. — id., Phorm., act. II, sc. I, v. 4.
  3. Tertull., Apol., 30.
  4. Cirer., Tuscul., lib. IV, cap. XXIX.
  5. Donat., ad Terent. Phorm., act. II, sc. II, v. 1. — Mme Dacier croit que cette anecdote se rapporte à une répétition, quoique la phrase de Donat et surtout le mot acturus pussent donner l’idée d’une représentation publique. J’adopte l’opinion de Mme Dacier, surtout à cause des mots : hos Terentio pronunciavit versus, qui me semblent ne pouvoir s’appliquer qu’à une répétition faite devant le poète et pour le poète.