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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/295

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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

épîtres d’Horace. On pouvait distinguer dans l’Épître à l’académie un assez bon nombre de vers détachés, sentencieux, et comme frappés dans un moule dont M. Delavigne a été depuis si prodigue.

Les sots depuis Adam sont en majorité,

écrivait par exemple le jeune poète avec plus de malice réfléchie que de penchant lyrique. L’antiquité devait tenter aussi un esprit nourri par prédilection d’études classiques, et c’est environ à cette époque d’inspiration librement choisie qu’il faut ranger les Troyennes, Danaë, Antigone et Ismène, l’Ode à Naïs, tous essais plus ou moins gracieux dans le domaine de l’ancienne muse. L’auteur y réalise tour à tour avec bonheur une scène d’après Euripide, un petit tableau à la façon de Simonide, un hymne où respire la mélancolie voluptueuse d’Anacréon, sans préjudice de Tibulle. Mais c’est surtout le génie grec qui domine dans ces naïves reproductions où l’instinct du poète se révèle sans effort, et où il a bien vite rencontré sa forme de préférence.

Cependant, tandis que le poète promenait sa facile imagination, tantôt aux bords du Simoïs, tantôt sous les ombrages du Taygète et de l’Hémus, de douloureux évènemens étaient venus fondre tout à coup sur la France abattue. Le désastre de Waterloo et la double invasion qui en fut la suite, en contristant toutes les ames françaises, ne pouvaient trouver indifférente la fibre sympathique de M. Casimir Delavigne. Spontanément il s’émut de l’affliction commune, suivant qu’il était dans sa plus vraie nature de le faire, et dans cet irrésistible besoin de se rendre l’écho des publiques douleurs, le poète allait bientôt trouver ses plus belles inspirations comme ses triomphes les plus unanimes. Doué d’une ame pure et sensible, mais toutefois tempérée, M. Casimir Delavigne se trouvait à ce moment dans la plus favorable condition pour interpréter avec noblesse et dignité les plaintes nationales, il avait juste un sentiment assez vif pour s’émouvoir sans dépasser la mesure précise, et un instinct assez sûr d’impartialité pour mêler l’enthousiasme à l’imprécation, en faisant pressentir tout ce qu’il y avait d’espérance permise après les regrets fortement exhalés. Les Messéniennes, ainsi nommées par un ressouvenir de l’ancienne Grèce, furent comme un heaume bienfaisant répandu sur les blessures saignantes et vives de la France. Elles contenaient tout à la fois un hommage aux vaincus trahis par la fortune, et un défi aux vainqueurs trop servis par le hasard d’un jour. À travers les lamentations sur nos défaites passagères retentissait