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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/321

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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

Au rendez-vous donné je fus toujours fidèle ;
Tu vois bien que ce soir je dois être auprès d’elle.
Et je voudrais, ma fille, au dernier rendez-vous,
Lui dire en l’embrassant le nom de ton époux.

Maintenant son rêve s’accomplit, et le Cid n’a plus qu’à mourir en disant : « Chimène, me voici ! » — Si cette œuvre signale un progrès de quelque sorte, c’est, à coup sûr, dans le style, non que le style de la Fille du Cid surpasse le genre de perfection réalisé et tant prôné jusqu’à ce jour chez M. Casimir Delavigne, mais justement parce qu’il est tout autre, parce qu’il s’annonce assez fréquemment avec des allures de franchise, de vigueur, de sensibilité même tout-à-fait imprévues et qui ont été accueillies avec joie. Il y a parfois dans le discours un air noblement familier que Corneille ne désavouerait pas, et des traits de hardiesse dans lesquels M. Victor Hugo pourrait se reconnaître. En un mot, M. Casimir Delavigne vient de montrer qu’après tant d’autres nuances habilement empruntées, le ton de force et de naïveté lui était encore possible dans l’occasion. Par malheur, ce nouveau mérite même ne fait que confirmer plus surabondamment le penchant déterminé de M. Casimir Delavigne à l’imitation. Nous savons maintenant que l’auteur de la Fille du Cid peut, avec un succès égal, marcher à la suite des génies les plus divers ; il lui reste encore à être lui-même, et à se révéler dans une voie qui n’ait pas été déjà sillonnée par d’ineffaçables empreintes.

À vouloir juger M. Casimir Delavigne dans son ensemble et comme caractère de poète, on n’est pas en vérité sans quelque légitime embarras. Entre le haut piédestal que lui dresse la foule complaisante et le socle plus abaissé où le pose la critique austère, son rang bien précis ne se dessine pas nettement à l’œil. Depuis les Messéniennes jusqu’à la Fille du Cid, M. Delavigne, multipliant sans cesse les œuvres, a certes touché à bien des points et varié sensiblement ses procédés ; mais, avant tout, on ne saurait le rattacher intimement à aucune des deux faces de la littérature du XIXe siècle, soit celle qui embrasse encore le passé d’une étreinte fidèle, soit celle qui tourne fièrement ses aspirations vers l’avenir. La révolution littéraire entreprise depuis bientôt un demi-siècle par M. de Châteaubriand et Mme de Staël, laissa manifestement en dehors M. Casimir Delavigne, qui ne la comprit pas. Lorsque, pour la première fois, l’auteur des Messéniennes s’initie à la vie littéraire, on voit qu’il n’est nullement frappé de ce qui se passe autour de lui dans le domaine intellectuel et moral ; les évènemens extérieurs, mondains, ont seuls