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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/332

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REVUE DES DEUX MONDES.

Dans les sociétés démocratiques, il n’y a guère que de petites minorités qui désirent les révolutions ; mais les minorités peuvent quelquefois les faire.

Je ne dis donc point que les nations démocratiques soient à l’abri des révolutions, je dis seulement que l’état social de ces nations ne les y porte pas, mais plutôt les en éloigne. Les peuples démocratiques, livrés à eux-mêmes, ne s’engagent point aisément dans les grandes aventures ; ils ne sont entraînés vers les révolutions qu’à leur insu ; ils les subissent quelquefois, mais ils ne les font pas. Et j’ajoute que quand on leur a permis d’acquérir des lumières et de l’expérience, ils ne les laissent pas faire.

Je sais bien qu’en cette matière les institutions publiques elles-mêmes peuvent beaucoup ; elles favorisent ou contraignent les instincts qui naissent de l’état social. Je ne soutiens donc pas, je le répète, qu’un peuple soit à l’abri des révolutions par cela seul que, dans son sein, les conditions sont égales ; mais je crois que, quelles que soient les institutions d’un pareil peuple, les grandes révolutions y seront toujours infiniment moins violentes et plus rares qu’on ne le suppose, et j’entrevois aisément tel état politique qui, venant à se combiner avec l’égalité, rendrait la société plus stationnaire qu’elle ne l’a jamais été dans notre Occident.

Ce que je viens de dire des faits s’applique en partie aux idées.

Deux choses étonnent aux États-Unis ; la grande mobilité de la plupart des actions humaines, et la fixité singulière de certains principes. Les hommes remuent sans cesse, l’esprit humain semble presque immobile.

Lorsqu’une opinion s’est une fois étendue sur le sol américain et y a pris racine, on dirait que nul pouvoir sur la terre n’est en état de l’extirper. Aux États-Unis, les doctrines générales en matière de religion, de philosophie, de morale et même de politique, ne varient point, ou du moins elles ne se modifient qu’après un travail caché et souvent insensible ; les plus grossiers préjugés eux-mêmes ne s’effacent qu’avec une lenteur inconcevable au milieu de ces frottemens mille fois répétés des choses et des hommes.

J’entends dire qu’il est dans la nature et dans les habitudes des démocraties de changer à tout moment de sentimens et de pensées. Cela peut être vrai de petites nations démocratiques, comme celles de l’antiquité qu’on réunissait tout entières sur une place publique et qu’on agitait ensuite au gré d’un orateur. Je n’ai rien vu de semblable dans le sein du grand peuple démocratique qui occupe les rivages opposés de notre Océan. Ce qui m’a frappé aux États-Unis, c’est la