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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/355

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RÉFLEXIONS POLITIQUES.

l’enfantement du ministère actuel. Le gouvernement se faisait par secousses, comme dans l’affaire d’Orient, où, ainsi que nous le montrerons tout à l’heure, on passa subitement d’un chaleureux intérêt pour la Porte à la défense active du pacha. À chaque question, les ministres se demandaient intérieurement ce qu’en diraient M. Thiers et son parti dans la session suivante, et on prenait courage à marcher souvent au-delà des bornes que marquait la prudence, dans la crainte d’être dépassé par celui qu’on voulait écarter, tout en parodiant ses vues et ses principes. Singulier rôle pour un gouvernement qui imitait ainsi ceux qui se jettent étourdiment en tête d’une émeute, et que d’autres poussent en avant ! La couronne n’avait donc devant elle dans le conseil que des intermédiaires, et il se pourrait que dans son admirable sagacité, et dans le sentiment de sa force, elle eût quelquefois secrètement préféré avoir affaire au centre gauche lui-même qu’à des représentans munis de pouvoirs si irréguliers.

En outre le ministère du 12 mai n’était pas un rempart contre les principes de la gauche, dont, pour notre part, nous ne sommes guère effrayés, car le ministère se prétendait issu de la gauche, et comptait bien gouverner avec son concours. Or, qu’est-ce qu’un ministère qui inquiète le parti conservateur et qui n’apporte pas l’appui du parti opposé ? La majorité du 15 avril était détruite, le premier résultat des élections avait été la chute de ce ministère, et l’on aura beau dire que la majorité opposante se formait de plusieurs minorités ; encore fallait-il composer avec elles, les réunir dans un but possible, les contenir, les diriger, pour opérer une action gouvernementale quelconque, et le ministère du 12 mai en était incapable. On a comparé la gauche à un cheval fougueux ; c’était donc au meilleur cavalier à le conduire, et nous n’avons jamais entendu dire qu’en pareil cas il soit bon de recourir à des mains débiles ou inexpérimentées. La gauche, le centre gauche, le centre droit, ne sont après tout que des nuances de la révolution de juillet, de la France telle qu’elle s’est faite après avoir jeté le frein que lui avait mis l’Europe quand elle lui imposa le gouvernement de la restauration. Quand cette révolution est modérée, quand elle ne blesse pas les sentimens nationaux des autres peuples en demandant la Belgique ou les limites du Rhin, elle a pour elle tous ceux qui travaillent, tous ceux qui étudient, tous ceux qui produisent, tous ceux qui, dans le monde entier, éprouvent le besoin d’améliorer leur condition intellectuelle ou sociale. Or, tant que le centre gauche ne sera pas accusé d’apporter au pouvoir l’esprit de conquête et d’extension, on ne doit pas redouter son passage aux