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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/387

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

tachant aux coléoptères particulièrement ; il y acquit des connaissances réelles, découvrit l’organe de l’ouie chez les insectes : une dissertation publiée à Besançon en l’an VI (1793) en fait foi. M. Duméril confirma depuis cette opinion, ou même, selon son jeune et jaloux devancier, s’en empara : il y eut réclamation dans les journaux. Dès ce temps, Nodier avait commencé un poème sur les charmans objets de ses études ; on en citait de jolis vers que quelques mémoires, en le voulant bien, retrouveraient peut-être encore. Je n’ai pu saisir que les deux premiers :

Hôtes légers des bois, compagnons des beaux jours,
Je dirai vos travaux, vos plaisirs, vos amours…

Mais qu’est-il besoin de poème ? Ne l’avons-nous pas dans Séraphine, aussi vif, aussi frais, aussi matinal et diapré que les ailes de ces papillons sans nombre que l’auteur décrit amoureusement et qu’il étale ? Quand on est poète, quand la lumière se joue dans l’atmosphère sereine de l’esprit ou en colore à son gré les transparentes vapeurs, il n’est que mieux d’attendre pour peindre, de laisser la distance se faire, les rayons et les ombres s’incliner, les horizons se dorer et s’amollir. Tous ces Souvenirs enchanteurs de Nodier, qui commencent par Séraphine, ont pour muse et pour fée, non pas le Souvenir même, beaucoup trop précis et trop distinct, mais l’adorable Réminiscence. C’est bien important, à propos de Nodier, de poser dès l’abord en quoi la réminiscence diffère du souvenir. Un amant disait à sa maîtresse qui brûlait chaque fois les lettres reçues, et qui pourtant s’en ressouvenait mieux :

Au lieu d’un froid tiroir où dort le souvenir,
J’aime bien mieux ce cœur qui veut tout retenir,
Qui dans sa vigilance à lui seul se confie,
Recueille, en me lisant, des mots qu’il vivifie,
Les mêle à son désir, les plie en mille tours,
Incessamment les change et s’en souvient toujours.
Abus délicieux ! confusion charmante !
Passé qui s’embellit de lui-même et s’augmente !
Forêt dont le mystère invite et fait songer,
Où la Réminiscence, ainsi qu’un faon léger,
T’attire sur sa trace au milieu d’avenues
Nouvelles à tes yeux et non pas inconnues !

C’est ce faon léger des lointains mystérieux, ce daim à demi fuyant de l’Égérie secrète, que dans ses inspirations les plus heureuses Nodier vieillissant a suivi.