Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
LES MISSISSIPIENS.

LE DUC.

Femme sensible ! vous avez pensé à lui à tout le moins une fois l’an !

LA MARQUISE.

Et je n’ai jamais passé un anniversaire du jour où j’ai appris sa mort sans faire dire une messe pour le repos de son ame.

LE DUC.

Bonne tante ! cela fait cinq messes ! Et Julie, combien de pensées a-t-elle eues pour lui ? combien de messes a-t-elle fait dire ?

LA MARQUISE.

Julie ?… Elle a donné le jour à cinq enfans.

LE DUC.

C’est beaucoup trop ! (Prenant du tabac.) Heureusement il y en a quatre de morts !

LA MARQUISE.

Pauvres enfans ! Tenez, duc, Julie est un modèle d’amour conjugal ; mais il semble que cela l’ait empêchée de bien connaître l’amour maternel. Moi, je pleure encore mon neveu…

LE DUC.

Quand vous y pensez ?

LA MARQUISE, babillant toujours sans faire attention aux sarcasmes du duc.

Et elle, il semble qu’elle ait oublié les siens comme s’ils n’avaient jamais existé. Vraiment elle n’aime au monde que M. Bourset.

LE DUC, ironiquement.

Ah ! c’est bien naturel !

LA MARQUISE.

N’en riez pas, c’est incroyable comme cet homme-là s’est décrassé depuis son mariage.

LE DUC.

Je crois bien, il a usé beaucoup de savon !

LA MARQUISE.

De savonnette à vilain, vous voulez dire ? car le voilà comte décidément. Samuel Bourset, comte de Puymonfort ! Quel drôle de temps que celui-ci ! Enfin c’est un homme qui a du savoir-faire que mon gendre, n’en dites pas de mal !

LE DUC.

Je n’en dis pas de mal, chère marquise ; c’est un homme habile et probe en même temps. Sa réputation est bien établie, et votre fille a fait sagement de l’épouser, quoiqu’il ne soit pas aimable.

LA MARQUISE.

Oh ! c’est que Julie est sage, trop sage peut-être !

LE DUC.

Plus sage que vous ne l’étiez à son âge, mon cœur !