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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/48

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REVUE DES DEUX MONDES.

LA MARQUISE.

Mais Bourset ne donne pas dans ces folies ?

LE DUC.

Il y donne si bien, qu’il a pris pour un million d’actions.

LA MARQUISE.

En ce cas, l’affaire n’est pas si mauvaise que vous croyez. Law est-il vraiment là-dedans ?

LE DUC.

C’est lui qui a imaginé cela pour faciliter l’émission de son papier-monnaie.

LA MARQUISE.

Mais, mon Dieu ! il nous ruinera avec de pareilles bourdes !

LE DUC.

Voilà les femmes ! Il y a un instant, vous étiez aussi sûre de lui que de votre propre existence ; et au premier mot que je vous dis en l’air, moi qui ne connais goutte à ces sortes d’entreprises (qui diable y comprendrait ?), vous voilà épouvantée et prête à accuser Law lui-même de mauvaise foi.

LA MARQUISE.

Mais que dites-vous donc ?

LE DUC.

Je dis que, s’il n’y a pas de mines, peu importe, car Law trouvera la pierre philosophale. N’est-ce pas un magicien, un prestidigitateur, un dieu ? Je ne raille pas ; c’est un habile homme, qui a fait des miracles et qui en fera encore.

LA MARQUISE.

Et ce George Free… Free… Comment l’appelez-vous ?

LE DUC.

Freeman ; ce qui veut dire homme libre.

LA MARQUISE.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est que ça ?

LE DUC.

Un homme libre ? ah ! c’est un animal bien étrange, et tel qu’il ne s’en est jamais vu dans ce pays-ci. L’individu en question est une sorte de quaker habillé de brun à l’américaine, allant à pied, parlant peu et bien, ne disant et ne faisant jamais rien d’inutile, si ce n’est de prêcher la réforme à des fous et la probité à des fripons. Homme distingué d’ailleurs, doué d’un langage élevé, d’un grand sens à beaucoup d’égards, et, je le crois, un galant homme en tous points ; mais fort original, rêvant et publiant sur la liberté les choses du monde les plus extraordinaires. Et puis, le bon d’Aguesseau l’a pris en grande considération, parce qu’il est fortement opposé au système de Law. Mais cela ne choque personne ; d’Argenson le tolère, Law le réfute, le régent s’en amuse. Enfin, il plaît à tout le monde, et vous le verrez aujourd’hui.