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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/50

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REVUE DES DEUX MONDES.

LUCETTE.

Je ne vous reconnais pas moi-même. Qui êtes-vous donc, jeunesse ? Je ne vous connais point ; vous n’êtes donc pas d’ici ?

LOUISE, l’imitant.

J’suis d’la Bourgogne, dame ! j’m’appelle… attendez ! j’m’appelle… Jacqueline.

LUCETTE.

Oh ! comme vous dites bien ça ! Vrai, d’honneur ! votre maman vous parlerait qu’elle ne vous reconnaîtrait point !

LOUISE, tressaillant.

Maman ! ah ! ne m’en parle pas ! Quand j’y pense, la peur me prend, et toute ma gaieté s’en va.

GEORGE, à part.

C’est singulier ! quelle est donc cette jeune fille ? (Il l’examine avec attention.)

LUCETTE.

N’ayez point peur, mamselle ; elle vous croit bien enfermée dans votre chambre. Est-ce qu’elle pourrait s’imaginer que j’ai été quérir l’échelle avec quoi que mon père taille ses espaliers ? Et puis, y aura tant de monde ! dame ! nous n’irons pas nous mettre au premier rang. Nous nous cacherons comme ça dans la foule du monde ; ou bien, tenez, nous monterons là-haut, tout en haut des échafauds, derrière la musique. C’est là que j’étais l’an dernier. C’est la meilleure place, et personne ne vous ira chercher par là. Tenez ! venez voir comme on y est bien perché !

(Louise veut suivre Lucette qui grimpe sur les échafauds, mais elles se trouvent face à face avec George, et s’arrêtent.)
LUCETTE.

Ah ! mon Dieu ! mamselle, v’là un homme qui nous regarde drôlement.

LOUISE.

Voyons s’il nous connaît. Bonjour, mon brave homme, que demandez-vous ?

GEORGE.

Vous ne m’offensez pas en me prenant pour un artisan, j’en ai presque l’habit ; mais moi, je vous offenserais sans doute en vous prenant pour une villageoise ?

LOUISE.

Oh ! mon Dieu, pas du tout. Je voudrais bien l’être toujours. Mais, puisque vous voyez que je suis déguisée, ne me trahissez pas, je vous en prie.

GEORGE.

Il me serait bien difficile de vous trahir, puisque je ne vous connais pas.

LUCETTE.

Ah ! monsieur, c’est égal. Vous pourriez quelque jour voir Mlle Louise de Puymonfort, la fille à M. le comte Bourset, et dire comme ça, devant madame