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être toujours en mesure de prouver qu’elle ne craint pas la guerre. Il vaudrait mieux, à la rigueur, qu’elle laissât douter de sa modération que de son courage. On ne s’attaque pas imprudemment aux forts, à ceux qui ont fait leurs preuves ; on pousse au contraire à bout et l’on accule volontiers ceux qui ont la réputation de mollir. Ainsi, quand la fermeté ne serait pas un devoir et une vertu, elle serait un bon calcul. Des peuples qu’on ne saurait ni intimider ni surprendre dictent des conditions plutôt qu’ils n’en subissent, et se font eux-mêmes leur place, librement, dignement, sans qu’on en marchande les termes. C’est surtout dans ce sens que l’entretien de grandes forces militaires est l’une des plus utiles dépenses que puisse faire un pays. Les armées modernes justifient et réalisent l’axiome antique. En répondant à toutes les éventualités guerrières, elles assurent le repos du monde ; elles contiennent toutes les ambitions et toutes les violences. Leur puissance, avant tout préventive, est une garantie pour les intérêts, qui comptent moins sur ce qu’elles pourraient faire que sur ce qu’elles empêchent et conjurent. Des économistes enclins aux réformes se sont quelquefois demandé ce que produisait une armée. Une armée produit la sécurité, cette source de toutes les autres richesses. Est-ce donc là un rapport qui soit à dédaigner ?

Nous tenions à exprimer ces idées avant d’entrer dans l’examen comparatif qui va nous occuper : elles serviront à en éclairer l’intention, à en préciser les tendances. Ainsi préparée, l’étude de nos ressources militaires se dégage de ce qu’elle peut avoir d’irritant, elle ne ressemble plus à un dénombrement avant la bataille. L’alliance anglaise nous est précieuse comme instrument de civilisation, comme garantie de la paix du monde. Nous n’ignorons rien de ce qui se dit contre cette alliance : elle n’est utile qu’à titre onéreux, elle vend ce qu’on croit qu’elle donne ; elle est hautaine, inégale, capricieuse, elle a toujours l’air de vouloir traiter de serf à maître. Il y a du vrai dans ces reproches, quoiqu’on les ait fort exagérés ; il faudrait s’en préoccuper, si ces divers symptômes tenaient à des causes profondes. Mais, quand on observe froidement les faits, on s’assure que les pointes de révolte de l’orgueil britannique vis-à-vis de la France n’ont rien de vraiment sérieux. On tient à nous plus qu’on ne le dit ; on nous respecte plus qu’on ne l’avoue. Ce sentiment va même si loin, que l’on s’en effraie et qu’on cherche à le tromper par des colères feintes. Les vieux partis anglais ne peuvent pas se résigner à l’idée que toute animosité s’éteigne, et ils soulèvent, en y mêlant le nom de la France, des querelles insensées dans lesquelles on aurait tort de voir autre chose que