Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
556
REVUE DES DEUX MONDES.

tout des dangers qu’elle peut susciter et qui s’abstient de toute impulsion qu’elle ne pourrait pas diriger ?

Le ministère, forcé malgré lui de prendre sa part de cette périlleuse discussion, se trouvait dans une position délicate, dans la position difficile que lui avait préparée la tactique des partis. On espérait que, pressé entre les réformistes et les conservateurs, il serait contraint d’opter, de se jeter tête baissée tout-à-fait à gauche ou tout-à-fait à droite. Dans les deux hypothèses, le ministère paraissait perdu. Dans la première, il éloignait de lui tous les hommes modérés, impartiaux ; il devenait le chef d’abord, l’instrument ensuite, d’un parti ; il excitait de vives alarmes, et se préparait une lutte où la victoire aurait peut-être, pour les ministres eux-mêmes, été plus funeste que la défaite. Dans la seconde hypothèse, le ministère aurait abandonné ses amis pour se livrer sans conditions à ses adversaires, qui l’auraient accueilli bruyamment pour le terrasser le lendemain. Le cabinet serait devenu la risée du pays. Nous le concevons, mieux vaut encore être redouté de ses adversaires que bafoué.

Mais M. le président du conseil n’est pas homme à se laisser ainsi dominer dans la lutte parlementaire par le mouvement des partis. Maître de lui-même, il dirige la discussion et ne la subit pas. Il y a sans doute chez lui, comme chez tous les esprits vifs et éminens, de l’inattendu, de l’imprévu. C’est un général qui peut, fort heureusement, modifier sur le champ de bataille les plans mûris sous la tente. Il ne maintient pas moins la direction générale de ses idées, il ne vise pas moins au but qu’il s’était proposé d’atteindre.

Expliquons-nous franchement. En dehors de toute coterie, sans esprit de parti, prêts à attaquer le ministère, le jour où il se rangerait sous un drapeau que notre conscience regarderait comme dangereux pour la monarchie et pour nos institutions, nous ne voulons rien pallier, rien dissimuler. Le ministère, dans le débat de la proposition Remilly, a fait, dit-on, un mouvement vers la gauche, un mouvement qui paraît annoncer l’intention de franchir la ligne que nous désirons le voir conserver.

Mais, et ceci s’applique à la situation générale, à qui devrions-nous imputer ce mouvement ? À ceux qui harcèlent incessamment le cabinet avec une hostilité qui a toutes les apparences (nous désirons nous tromper) d’une hostilité irrévocable et systématique. Placé entre deux grands partis, invitant également à se rallier autour de lui, à des conditions raisonnables, les hommes sérieux, modérés de l’un et de l’autre côté, le ministère, tandis qu’il trouvait du calme, de la raison, de la résignation, si l’on veut, dans la gauche, qu’a-t-il trouvé à la droite ? Des haines, du dédain, et une méfiance outrée qu’on pourrait, sans trop d’exagération, appeler injurieuse. Le ministère incline tant soit peu vers la gauche ; sans rien leur accorder de grave, de dangereux, de décisif, il penche vers ceux qui l’écoutent, qui lui témoignent estime et confiance, qui lui prêtent leur concours. Encore une fois, à qui la faute ?

Ce mouvement a été sans doute volontaire, réfléchi ; nous n’en disconvenons pas. Nous ajoutons seulement qu’il n’est que trop naturel, qu’il est une consé-