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REVUE. — CHRONIQUE.

pour lui préparer des places, que le jour où les ministres nommeraient à des fonctions quelconques un homme de la gauche, non à cause de sa capacité, mais malgré son incapacité, et uniquement pour le retentissement de son nom et pour obéir aux injonctions d’un parti.

Nous ferons remarquer, en second lieu, combien il serait à la fois impolitique et immoral de mettre en quelque sorte le gouvernement au défi de faire des nominations et des actes qui livreraient les affaires à un parti. Si le ministère, cédant à l’irritation et au dépit, dépassait toute mesure, s’il appelait à un grand nombre de places inamovibles, de places judiciaires, des hommes de parti, des hommes passionnés, ou seulement des hommes dont le nom sert, à tort on à raison, de mot de ralliement, que ferait-on ensuite ? Ferait-on une révolution pour les chasser, pour faire ce que la révolution de 1830 n’a pas osé faire ? Provoquer au mal pour avoir ensuite le triste plaisir de le blâmer, pour pouvoir ensuite s’écrier qu’on l’avait prévu, il n’y aurait là ni politique ni morale.

Un grand acte politique vient d’être accompli, une nouvelle amnistie, ou, pour parler comme le ministère a loyalement parlé dans son rapport au roi, un complément d’amnistie. C’est un pas de plus que la clémence du roi a voulu faire dans cette carrière de réconciliation et de paix qu’avait si noblement ouverte l’ordonnance royale du 8 mai 1837, sous l’administration de M. le comte Molé. Cette pensée de conciliation, de transaction, que nous voudrions voir se réaliser, remonte, il est juste de le reconnaître, à cet homme d’état qui avait en lui tout ce qu’il fallait pour l’accomplir, mais qui ne rencontra hors de lui-même qu’entraves et difficultés de toute nature.

Les nobles inspirations de la clémence royale et la pensée politique et conciliatrice du cabinet n’ont pas suffi à l’activité intelligente et mesurée de M. le garde-des-sceaux. Parmi ses travaux, nous nous plaisons à faire remarquer le projet de loi ayant pour but d’apporter d’importantes modifications à l’organisation du tribunal de première instance de la Seine. La suppression graduelle, sans détruire aucune position acquise, sans rien précipiter, rien brusquer, de ces juges qui, suppléans de nom, titulaires de fait, plaçaient en quelque sorte le tribunal de la Seine dans une exception d’infériorité, tandis que, par l’importance, la multitude, la rapidité des affaires, c’est à une exception toute contraire qu’il pouvait prétendre, nous a paru un gage de ces améliorations prudentes, réfléchies, que tout homme appelle de tous ses vœux, qui n’alarment aucun intérêt légitime, et ne sont point pour les consciences timorées un sujet d’effroi et de scrupules.

Les travaux publics recevront du ministère une impulsion que le pays était impatient de leur voir donner. C’est un des objets les plus importans de cette session, le plus important peut-être. Il intéresse également l’activité et la dignité du pays. Espérons que les chambres seconderont énergiquement la pensée du gouvernement, et que, par de promptes et décisives résolutions, elles feront oublier le temps que la politique a enlevé aux affaires.