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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/592

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REVUE DES DEUX MONDES.

des sons qui se dissolvaient dans le souffle de la nuit, ou des mots inarticulés comme le bouillonnement des fleuves.

« Ô Macarée, me dit un jour le grand Chiron dont je suivais la vieillesse, nous sommes tous deux centaures des montagnes, mais que nos pratiques sont opposées ! Vous le voyez, tous les soins de mes journées consistent dans la recherche des plantes, et vous, vous êtes semblable à ces mortels qui ont recueilli sur les eaux ou dans les bois et porté à leurs lèvres quelques fragmens du chalumeau rompu par le dieu Pan. Dès-lors ces mortels, ayant respiré dans ces débris du dieu un esprit sauvage ou peut-être gagné quelque fureur secrète, entrent dans les déserts, se plongent aux forêts, côtoient les eaux, se mêlent aux montagnes, inquiets et portés d’un dessein inconnu. Les cavales aimées par les vents dans la Scythie la plus lointaine, ne sont ni plus farouches que vous, ni plus tristes le soir, quand l’Aquilon s’est retiré. Cherchez-vous les dieux, ô Macarée, et d’où sont issus les hommes, les animaux et les principes du feu universel ? Mais le vieil Océan, père de toutes choses, retient en lui-même ces secrets, et les nymphes qui l’entourent décrivent en chantant un chœur éternel devant lui, pour couvrir ce qui pourrait s’évader de ses lèvres entr’ouvertes par le sommeil. Les mortels qui touchèrent les dieux par leur vertu, ont reçu de leurs mains des lyres pour charmer les peuples, ou des semences nouvelles pour les enrichir, mais rien de leur bouche inexorable.

« Dans ma jeunesse, Apollon m’inclina vers les plantes, et m’apprit à dépouiller dans leurs veines les sucs bienfaisans. Depuis j’ai gardé fidèlement la grande demeure de ces montagnes, inquiet, mais me détournant sans cesse à la quête des simples, et communiquant les vertus que je découvre. Voyez-vous d’ici la cime chauve du mont Œta ? Alcide l’a dépouillée pour construire son bûcher. Ô Macarée ! les demi-dieux enfans des dieux étendent la dépouille des lions sur les bûchers, et se consument au sommet des montagnes ! les poisons de la terre infectent le sang reçu des immortels ! Et nous, centaures engendrés par un mortel audacieux dans le sein d’une vapeur semblable à une déesse, qu’attendrions-nous du secours de Jupiter, qui a foudroyé le père de notre race ? Le vautour des dieux déchire éternellement les entrailles de l’ouvrier qui forma le premier homme. Ô Macarée ! hommes et centaures reconnaissent pour auteurs de leur sang des soustracteurs du privilége des immortels, et peut-être que tout ce qui se meut hors d’eux-mêmes n’est qu’un larcin qu’on leur