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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/674

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pour sa part dans l’œuvre commune, la traduction des morceaux qui convenaient le mieux au tour de son imagination : le Juif errant, le Pauvre Jacques, la Femme du Braconnier, et il parvient souvent à reproduire par son vers ferme et serré l’énergique et vive concision de l’original.

Chamisso conserva jusqu’à la fin de sa vie toute la chaleur d’ame et d’enthousiasme dont la nature l’avait doué. Peu de temps avant sa mort, il fit le voyage de Leipzig, pour parcourir la première station du chemin de fer de Dresde. Il était transporté d’admiration ; il appelait la machine à vapeur les ailes du temps, ou bien un animal à sang chaud sans yeux.

L’année suivante, il ne se sentit plus en état de remplir ses fonctions au jardin des plantes ; il avait continué à s’y rendre pendant tout le terrible hiver de 1838, bien que sa maladie se fût par là considérablement aggravée. Une retraite égale à la totalité de ses appointemens lui fut accordée dans les termes les plus honorables et les plus flatteurs ; mais il avait trop attendu pour prendre un repos nécessaire, il devait payer son zèle de sa vie, et être le martyr du devoir. Le 9 août 1839, il se coucha plus malade qu’il n’avait été depuis long-temps ; la fièvre se déclara bientôt, puis une sorte de délire, dans lequel il parlait diverses langues, et particulièrement la langue hovaï. La nuit qui précéda sa mort, il parla constamment français, ce qui ne lui arrivait que rarement. Les réminiscences du berceau se raniment en présence de la tombe. Il cessa de vivre le 21 août 1839. Je terminerai par un détail attendrissant cette courte notice, dans laquelle j’ai eu pour but autant de faire aimer l’homme que de faire admirer l’écrivain[1]. Peu de temps avant sa mort, il composa, pour une vieille blanchisseuse aveugle, deux pièces de vers qui eurent le plus grand succès. Données par l’auteur aux enfans

  1. Il ne m’appartient pas de juger Chamisso comme naturaliste. Le botaniste le plus distingué de l’Allemagne et de la France appréciait son savoir en ce genre ; il en a donné des preuves dans un mémoire sur les potamogeton. Il a publié en latin un travail zoologique, auquel il attachait de l’importance, sur quelques animaux de la classe des vers selon Linnée, un travail sur les plantes nuisibles et usuelles qui croissent dans le nord de l’Allemagne ; enfin, les soins assidus qu’il a donnés au jardin des plantes de Berlin et les trésors dont il a libéralement enrichi, sans en rien dire, les herbiers confiés à ses soins, sont des titres qui ont mérité à Chamisso la reconnaissance de sa patrie adoptive. Mais ce genre de détails ne saurait trouver place ici ; je renvoie à l’appréciation des mérites de Chamisso comme botaniste, par Schlechtendal ; Linnœa, année 1839, v. XIII, 1er cahier.