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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/689

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MARIE D’ÉNAMBUC.

comme ceux de ses aïeux, dont il avait aussi la stature élevée et les formes sveltes. Il y avait dans sa physionomie calme et fière, dans tous les traits de sa puissante organisation, quelque chose qui rappelait les hommes d’un autre âge ; on eût dit un de ces rois barbares dont les armées vainquirent les légions romaines, ou bien un de ces bardes que les peuples de l’Armorique vénéraient comme les dieux du savoir et de la poésie. Mais le pauvre gentilhomme n’avait pas retiré d’autre avantage de son illustre origine ; l’héritage de ses aïeux était perdu pour lui, et sa tenue annonçait une très modeste fortune. Bien que son ton et ses manières rappelassent qu’il appartenait à la haute société de son temps, son costume n’était pas celui d’un raffiné de la cour d’Anne d’Autriche, et il avait plutôt l’air d’un reître que d’un grand seigneur, avec son pourpoint de rasette grise et son chapeau de feutre, dont le bord relevé portait, au lieu de plume, une cocarde noire.

Marie avait baissé les yeux devant le regard mélancolique et fixe que M. de Maubray arrêtait sur elle, et, comme il ne lui parlait pas, elle essaya de rompre la première ce silence embarrassant pour tous deux.

— Monsieur, dit-elle d’une voix dont le léger tremblement démentait le calme qu’elle essayait de montrer, vous passez sans doute la mer pour la première fois ?

— Oui, madame, répondit-il, je viens aux îles dans le dessein de m’y établir ; c’est la ressource ordinaire des gens qui, comme moi, n’en ont plus d’autre.

Et comme elle le regardait avec une surprise pleine de tristesse, il ajouta simplement :

— J’ai perdu les débris de ma fortune au service du roi mon maître, et je suis condamné à mort en Angleterre.

— Vous y étiez retourné ? s’écria Marie.

— J’y ai passé ces six dernières années, les armes à la main contre le tyran régicide Olivier Cromwell. J’ai été blessé et pris dans une rencontre ; mais on ne m’a pas traité en prisonnier de guerre. Condamné comme rebelle à mourir de la main du bourreau, j’allais être pendu lorsque j’ai trouvé moyen de m’échapper des prisons de Leith. Alors je suis revenu en France.

— Oh ! mon Dieu ! murmura Marie en joignant les mains.

— Je suis retourné à Paris après plus de six ans d’absence, reprit Maubray d’une voix triste, et je suis allé revoir des gens dont je m’étais séparé avec douleur dans le plus cruel moment de ma vie.