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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/696

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REVUE DES DEUX MONDES.

culée ; une troupe de Caraïbes entoure l’habitation… Palida les a reconnus… ils sont là… sous ces fenêtres…

— Que dites-vous ? interrompit le général en se relevant, voici les clés de la grille, et il est aussi impossible de franchir la haie que d’escalader le fort Saint-Pierre.

En ce moment Palida entra suivie d’une négresse qui portait l’enfant endormi dans ses bras.

— Tu crois que les peaux rouges rôdent par ici ? lui dit le général ; parle, qu’as-tu vu ?

Elle répéta ce qu’elle venait de dire à sa maîtresse. — Tout le monde dort dans l’habitation, ajouta-t-elle ; il n’y a personne ni dans la galerie, ni dans les salles d’en bas ; les fenêtres sont bien fermées et barricadées en dedans, ainsi que la grande porte.

— C’est bien, dit le général en laissant retomber sa tête pâle et fatiguée sur l’oreiller. Personne n’est sorti, et il n’y a pas à craindre qu’une trahison ait livré l’entrée du jardin aux peaux rouges… Tu as eu une vision, Palida.

— Plût à Dieu ! maître, s’écria-t-elle ; mais ne vous rendormez pas ! Elle s’interrompit subitement ; une lueur blafarde venait d’apparaître entre les lames des jalousies.

— Maître, reprit-elle, il y a un orage du côté de la mer ; à la lueur des éclairs vous allez voir ce qui se passe là dehors, et si je me suis trompée.

Loinvilliers était déjà à la fenêtre. Un éclair plus resplendissant illumina les airs, et la foudre gronda dans l’éloignement. Au même instant le comte laissa retomber la jalousie qu’il avait relevée d’une main, et dit en montrant une flèche plantée dans la manche de son justaucorps : — C’est vrai ! en voici la preuve ; ils sont une centaine sous ces fenêtres.

En achevant ces mots, il arracha la flèche qui avait traversé son justaucorps au-dessus du poignet, et ajouta froidement, après en avoir examiné la pointe : — Elle est empoisonnée ; la blessure aurait été mortelle.

Palida se rapprocha de la fenêtre. Cachée derrière la jalousie, elle regarda encore dehors à la lueur incessante des éclairs. — Ils ont passé par-dessus la haie, dit-elle avec stupéfaction, voyez !…

En effet, les sauvages avaient franchi ce rempart redoutable par un singulier artifice. Il y avait en dehors du jardin un grand tamarinier dont les branches s’étendaient par-dessus la haie, et se joignaient