Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/707

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
703
ANTONIO PEREZ.

nera bientôt de l’oubli profond dans lequel le livre et l’auteur sont tombés. Ce sera merveille que cette obscurité aux yeux des bonnes gens qui croient encore que les choses de ce monde sont naïves et justes, et que le hasard ne s’amuse point à mêler, comme il plaît à sa folie, le grand écheveau des choses humaines, Perez tua un homme pour obéir à Philippe ; Perez enleva au roi sa maîtresse ; Perez souleva une province contre Philippe II ; il lutta cinq années contre ce roi terrible. Six éditions de son livre parurent à Genève, Paris et Londres ; on en fit des extraits séparés ; on le traduisit en français ; on publia les sentences détachées et aphorismes tirés de la narration de Perez, d’abord en espagnol, puis en français et en espagnol, puis en latin, avec glose, sans glose, in-8o et ce fut le premier livre traduit de l’espagnol qui devint populaire parmi nous. Tout le monde lisait Perez. Cet incontestable succès de curiosité et d’admiration occupa les premières années du XVIIe siècle. L’éloquent exilé avait donné l’impulsion castillane à cet esprit français que le moindre souffle fait vibrer, et qui se laisse entraîner avec tant de facilité et de force vers des régions inconnues. Alors l’Espagnole Anne d’Autriche épouse Louis XIII ; tout devient espagnol en France. Perez, à qui Henri IV a fait une pension, meurt à Paris. On ne pense plus à cet homme, qui vient de citer Philippe II et la cour d’Espagne à la barre des nations et des rois, et d’ouvrir une voie nouvelle au mouvement rapide des esprits français.

Si l’on ne considère son livre, auquel il faut joindre ses Lettres latines et espagnoles[1], réimprimées quatre fois et adressées la plupart au comte d’Essex, son ami, que comme document historique, on ne peut en nier l’importance. L’absence de mémoires particuliers rend très obscures, dans leurs détails, toutes les annales espagnoles. Vous ne commencez à bien comprendre le fond et les idées de la cour d’Espagne qu’après l’accession de la maison de Bourbon, lorsque des plumes étrangères se plaisent à en tracer le portrait bizarre. Vers la fin du règne de Philippe II, Antonio Perez fait exception et comble une lacune. Voici, dans son livre, le XVIe siècle en Espagne ; Philippe II tout entier, ses amis, ses maîtresses, son confesseur, le peuple, les grands, l’héroïsme des femmes, les mœurs secrètes de la cour, les sentimens publics, les mouvemens des masses. Perez exilé ne craint rien. Point d’inquisition, point d’alcades. La cour de France le protége, et il se venge. Cette éloquente série de plaidoyers,

  1. Cartas de Antonio Perez, trois éditions, 1604 à 1615.