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LES RAYONS ET LES OMBRES.

de Paris ait poussé le développement successif de ses heureuses facultés dans les trois grandes directions qui sillonnent le domaine de la poésie ; quoiqu’il ait obtenu d’incontestables succès dans les trois genres, lyrique, épique et dramatique ; toutefois, dans ses romans comme dans ses drames, l’inspiration lyrique domine toute autre inspiration. En revanche, personne n’associe mieux que M. Hugo le récit à l’ode ; personne ne jette plus habilement l’intérêt et le drame au milieu du chant. Il est impossible de s’emparer du cœur ou de l’imagination avec un plus petit nombre de mots. De même que quelques notes pénétrantes suffisent au musicien, quelques vers suffisent à M. Hugo pour nous émouvoir jusqu’aux larmes ; telle pièce nous remue, avec cinq ou six strophes, aussi profondément que le pourrait faire un drame en plusieurs actes. On se rappelle les lugubres fantômes des Orientales :

Hélas ! que j’en ai vu mourir de jeunes filles !

Dans les Rayons et les Ombres, la pauvre mère, que son lait a rendue folle, et qui va retrouver si vite son nourrisson au cimetière, est un pendant à ce drame, pendant plus réel, plus saisissant, plus inexorablement tragique. La pensée de résignation évangélique que l’auteur a déposée dans le titre de cette pièce, Fiat voluntas[1], adoucit, par un reflet de douce piété ce que la fatalité de la catastrophe aurait eu de trop pénible et de trop poignant.

Si l’on nous demande à quel ordre de sentimens et d’idées se rattache ce nouveau recueil, nous dirons qu’il appartient à la même source d’inspiration qui a dicté ses trois aînés, inspiration sérieuse, intime, contenue, que l’auteur appelle lui-même la seconde période de sa pensée, et qui commence aux Feuilles d’automne. Mais c’est surtout avec les Voix intérieures, qui l’ont précédé immédiatement, que ce nouveau volume offre des signes de fraternité plus marqués. Les Rayons et les Ombres sont la suite et le complément des Voix intérieures. Beaucoup de pièces commencées dans le premier recueil semblent, en quelque sorte, reprises et complétées dans le second. Ces consonnances de sentimens qui n’ont, d’ailleurs, rien de monotone, tant les cadres et les formes poétiques sont habilement et artistement variés, donnent à ce grand ensemble lyrique une sorte

  1. Pourquoi ne pas dire : Fiat voluntas tua ? Nous ne savons pas ce qui a engagé l’auteur à rendre cette phrase presque inintelligible en la tronquant. — Fiat lux fait un sens admirable. Fiat voluntas n’en fait aucun ; il faut que la mémoire complète l’idée.