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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/790

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REVUE DES DEUX MONDES.

Il était écrit que la destinée de Marie ressemblerait en tout à celle d’une souveraine : libre et maîtresse de sa main, elle ne put s’unir publiquement à l’homme de son choix. Une nuit, le marquis de Maubray la conduisit à la chapelle, où le père Du Tertre les attendait. Leur mariage n’eut pas d’autres témoins que le docteur Janson et un gentilhomme de la maison de Mme d’Énambuc. Les mesures étaient si bien prises, que personne n’eut le moindre soupçon, pas même les esclaves qui servaient la petite reine ; Palida seule veillait et attendait dans la chambre à coucher de sa maîtresse. La même nuit, d’autres faits s’accomplissaient non moins mystérieusement, et, tandis que le père Du Tertre disait la messe de mariage, il y avait une assemblée secrète chez le comte de Loinvilliers, qui, toujours souffrant de sa blessure, n’avait pas reparu au Fort-Saint-Pierre.

Il y avait sous les remparts une petite terrasse qui communiquait avec les appartemens intérieurs ; Marie s’y arrêta un moment en sortant de la chapelle. D’une main, elle s’appuyait au bras de Maubray, de l’autre elle retenait le voile de dentelle dont les plis flottaient autour de sa taille. Jamais, même dans la fraîcheur éclatante de sa première beauté, elle n’avait été si ravissante. Sa langueur lui donnait un nouveau charme, et la douce pâleur répandue sur ses traits semblait éclairer leur pureté divine. Elle leva vers Maubray ses yeux pleins de joie et de mélancolie ; une même pensée les occupait ; ils songeaient à un autre temps, déjà bien éloigné, au temps de leurs premières amours.

— Henry, dit-elle, ne vous semble-t-il pas que le passé n’a point existé, que je suis sortie hier du couvent de l’Annonciation, et que nous venons de nous marier à l’église de Saint-Louis ?

— Oh ! ma chère ame, répondit-il avec une tendre émotion, il est vrai… J’ai tout oublié… je suis heureux !

— Heureux !… ensemble pour toujours !… murmura-t-elle en appuyant son front à l’épaule de Maubray.

La nuit était sombre, et la brise qui soufflait de l’est apportait de l’intérieur des terres les chauds parfums des girofliers en fleurs. Tout à coup un canelicier, le seul arbre dont la verdure tapissât les murailles du fort, frémit, agité par une légère raffale, et ses longues siliques s’entrechoquèrent avec un bruit sec. Marie frémit.

— Comme le ciel est noir là-bas ! comme l’air est lourd ! murmura-t-elle ; cette nuit ressemble à une autre nuit bien fatale et qui eut un affreux lendemain !…

— Cette nuit est belle, la plus belle de ma vie ! répondit Maubray