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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/802

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REVUE DES DEUX MONDES.

Au même instant les portes s’ouvrirent, et Loinvilliers parut à la tête d’une vingtaine d’hommes.

— Vous êtes libre, madame, dit-il ; Baillardet, Vigeon et Sigaliz viennent d’être arrêtés ; les habitans se recommandent à votre miséricorde. La vigie a signalé un navire, un navire de l’état, et les rebelles sont effrayés.

— Un navire qui vient de France ! s’écria Marie en levant les mains au ciel ; mon Dieu, soyez béni !

La petite reine fut ramenée au fort Saint-Pierre comme en triomphe ; ceux qui un mois auparavant la poursuivaient de clameurs furieuses s’attendrissaient maintenant en la voyant s’avancer si pâle, si faible, si souffrante, mais le front éclatant de joie. Le docteur et Palida la soutenaient, car elle n’avait pas voulu monter dans sa litière. Quand elle fut sur la plage, elle s’arrêta les yeux fixés sur le navire dont on distinguait en pleine mer la haute voilure. Oh ! murmura-t-elle avec un élan de confiance et d’espoir, voici ma délivrance !

Loinvilliers marchait, plein d’orgueil et d’espoir, à côté de la petite reine ; dans l’effusion de sa joie, elle lui avait adressé quelques paroles bienveillantes. Il rentra avec elle au fort, et chacun, en le voyant si radieux, pensa que sa charge de lieutenant-général lui était déjà rendue. Avant de suivre Marie dans les appartemens, il appela Ricio et lui dit à voix basse : — Que mon canot soit prêt sur l’heure. Dès que le navire qu’on signale aura mouillé, j’irai à bord. Il faut que je sois maître ici : elle est à moi maintenant !

Le soir même, le vaisseau de guerre l’Amphitrite jeta l’ancre dans la rade de Saint-Pierre. Le père Du Tertre et M. de Vauderoque d’Énambuc, frère du défunt général, étaient à bord.

Le lendemain, vers midi, une assemblée solennelle, convoquée par la petite reine, se réunit au fort. Les principaux habitans, le clergé, tous les officiers, tous les employés du gouverneur remplissaient la salle d’audience. Le comte de Loinvilliers avait repris sa place près du fauteuil où allait venir s’asseoir la petite reine. Pour la première fois de sa vie peut-être, il ne pouvait dissimuler entièrement ce qui se passait au fond de son ame ; un sourire involontaire faisait frémir ses lèvres pâles, une secrète joie éclatait sur son front de marbre et dilatait ses sombres prunelles. On ignorait quelle communication la petite reine voulait faire à l’assemblée. Loinvilliers lui-même ne se douta pas un instant de ce qui allait se passer. À midi précis, Marie parut, conduite par son beau-frère, M. de Vauderoque d’Énambuc ; le père Du Tertre marchait à côté d’elle, tenant dans