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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/808

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PORT-ROYAL
PAR M. SAINTE-BEUVE.

Voici enfin un livre qui console du triste état où sont tombées les lettres depuis quelques années ; car, on ne peut se le dissimuler, il s’est introduit de nos jours un étrange désordre dans les vocations de l’esprit et dans l’emploi des talens. Presque toujours le début des carrières littéraires de nos contemporains a été leur moment le plus heureux, parce qu’il était l’effet d’un mouvement naturel. On allait là où l’on se sentait appelé ; on écrivait sous la dictée d’un impérieux instinct ; on se développait librement, parce qu’on obéissait à une voix secrète et puissante. C’était là l’heure des œuvres fécondes et des succès éclatans. Mais il arrive un moment où la veine s’épuise, soit parce que la nature n’y a pas mis davantage, soit parce que le travail ne creuse pas cette veine assez à fond. Alors on se met à en chercher une autre, on dévie, parce qu’on se croit à bout de la route première, ou parce qu’on manque d’énergie pour briser les obstacles contre lesquels on se heurte. Ici s’ouvre une autre époque dans la vie de l’écrivain. Auparavant, il suivait la vocation qu’il s’était reconnue ; maintenant, il s’en forge une autre, et à la nature il substitue la volonté. Il n’y a pas de génie si vigoureux qu’on le suppose qui puisse sans dommage, avec impunité, se permettre un déclassement semblable et ces appli-