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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/819

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PORT-ROYAL.

qu’aux dernières subtilités du point théologique, par une pente facile, par un chemin où, pour parler avec Bossuet, on rencontre des objets qui vous divertissent. Il se trouve instruit sans avoir été enseigné avec apprêt et pédantisme, et c’est à travers les sinuosités et les richesses d’une histoire littéraire qu’il arrive à la compréhension d’un dogme épineux. Il y a dans M. Sainte-Beuve un demi-scepticisme qui lui permet de tout saisir avec sagacité, de tout rendre avec persuasion ; il est pénétrant et lucide, parce qu’il a toujours l’esprit libre et dégagé.

Après les préliminaires historiques qui occupent les trois premiers chapitres du premier livre, le lecteur est introduit au plus vif du sujet par la peinture de ce qui se passe dans l’intérieur de Port-Royal et dans l’ame de la jeune abbesse. Les gradations de la grace sont indiquées avec finesse, et la journée du guichet est contée avec une piquante franchise ; c’est le jour où Angélique refusa d’ouvrir les portes de l’abbaye à son père, M. Arnaud, qui venait, comme à l’ordinaire, passer auprès de sa fille les vacances du parlement. C’était un acte décisif pour la réforme de Port-Royal, et, comme le dit spirituellement M. Sainte-Beuve, c’était le coup d’état de la grace. Sans la journée du guichet, remarque encore notre historien, cette réforme, depuis si fameuse et si fertile, avortait en naissant, et il n’y avait pas de Port-Royal, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas quelque chose dans le monde et dans le XVIIe siècle de tout aussi important que Richelieu. On peut ajouter aussi qu’il n’est donné à personne d’entrer dans la pratique de la perfection chrétienne sans rompre avec les liens de la chair et de la famille. Le Christ n’a-t-il pas dit : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée ; car je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et l’homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison ? Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » La fille de M. Arnaud accomplissait donc au point de vue chrétien une action nécessaire en établissant entre elle et son père une barrière inviolable. Elle entrait dans l’intelligence et la pratique de ce renoncement absolu dont Dieu change les premières douleurs en jouissances ineffables. Nous n’ignorons pas que les sentimens naturels et peut-être même la délicatesse littéraire peuvent être froissés par l’énergie mâle et simple avec laquelle la scène est contée. Néanmoins l’écrivain a eu raison de ne pas faiblir. Cette journée du guichet, dépeinte avec une naïve fermeté, initie