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pauvres d’esprit ; elle console, elle promet, elle affirme, et, pour nous servir des expressions de l’évêque de Genève, elle ressemble vraiment à une bonne mère qui prépare à l’enfant qu’elle porte tout ce qui doit lui être nécessaire pour le conserver après sa naissance. À chacun donc sur cette terre sa nourriture : aux uns l’Imitation et l’Introduction à la vie dévote, aux autres le manuel d’Épictète et les lettres de Sénèque.

Enfin paraît le front soucieux et ridé du directeur de Port-Royal. Il y eut entre Jansénius et Jean Duvergier de Hauranne, qui fut abbé de Saint-Cyran, comme un partage du royaume spirituel. Jansénius est le docteur, il étudie saint Augustin sans se lasser, il le dévore, il se l’assimile ; il l’avait lu jusqu’à dix fois. C’est l’homme du dogme et de la théorie qu’on entendait s’écrier de temps à autre en se promenant dans son jardin : Ô vérité ! ô vérité ! tant il la poursuivait, tant elle était pour lui le plus puissant attribut et la meilleure image de Dieu ! Saint-Cyran a surtout le génie de la pratique et de la réforme. Il dirige les ames, il veut les sauver, il les subjugue et les maîtrise individuellement ; quand une fois elles se sont soumises à son autorité, il dispose d’elles en souverain, et ces ames qu’il gouverne portent leur joug avec amour. Chez l’abbé de Saint-Cyran, c’est la volonté qui est supérieure plus que l’intelligence. Le grand directeur ne sera ni un penseur de premier ordre ni un brillant écrivain : il se propose surtout, dans la vie, de vouloir et de mener ; il aspire au royaume de Dieu, il veut y faire entrer le plus d’ames qu’il pourra, et il confesse sentir en lui un esprit de principauté aussi bien que les plus grands potentats du monde.

Le plus sûr témoignage de l’ascendant moral qu’exerçait autour de lui M. de Saint-Cyran est dans le nombre et la qualité des personnes qui s’offrirent à sa direction. Il faut voir dans M. Sainte-Beuve tout le détail de cet empire. Le directeur de Port-Royal suffit à toutes les ames et à tous les devoirs ; il présente comme refuge et comme appui la même fermeté de doctrine et de caractère aux religieuses, aux grandes dames, aux gens simples, aux hommes célèbres qui viennent à lui. On ne le voit jamais rien provoquer, mais il accepte tout. Quand M. Le Maître vint lui annoncer sa résolution de quitter le barreau pour ne plus vivre qu’aux pieds de Dieu, il le reçut avec ces paroles : « Je prévois où Dieu me mène en me chargeant de votre conduite, mais il n’importe, il le faut suivre jusqu’à la prison et à la mort. » La conversion de M. Le Maître est dans l’ouvrage de M. Sainte-Beuve, un morceau d’élite où la sagacité du moraliste, l’émotion chrétienne