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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/832

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REVUE DES DEUX MONDES.

dernière moitié du XVIe siècle. De cette époque date la dépopulation de ses campagnes, la ruine de son agriculture, la dévastation de ses rivages.

L’influence espagnole, qui succéda à l’influence arabe, salutaire dans le principe, ne tarda pas à devenir funeste par l’exagération de la doctrine du point d’honneur. Le noble besoin d’une satisfaction nécessaire fut transformé en une passion implacable que l’on aurait pu appeler la religion de la vengeance. Le duel ne fut plus regardé que comme une réparation insuffisante, comme un passe-temps d’enfans, bon tout au plus à satisfaire l’amour-propre des combattans, mais nullement à punir un outrage et à laver un affront. L’offensé ne pouvait-il pas devenir la victime de l’offenseur ? Il fallut donc trouver un autre moyen qui satisfit à la fois l’honneur et le besoin de la vengeance. Quel fut ce moyen ? L’assassinat ! Un outrage fut considéré comme une déclaration de guerre, et à la guerre tous les moyens sont bons pour se défaire de son ennemi ; une affaire d’honneur devint dès-lors une guerre de famille à famille ; un meurtre appela un autre meurtre, et la vengeance se légua comme un héritage. Du moment qu’il fut établi que tout homme de cœur pouvait se venger avec le poison et le poignard, quitte à courir plus tard les mêmes chances, ce fut faire preuve de courage et de noble énergie que d’engager ce duel à la fois mystérieux et terrible, ce duel qui ne se terminait souvent que par l’extinction de toute une race. Plus la vengeance était inattendue, plus l’assassin s’était montré implacable, plus il obtenait de considération.

Ce code de la vengeance régit encore la Corse. En Italie, il n’est plus en honneur que chez le peuple, et seulement dans les provinces où ce peuple est resté sauvage ; les classes supérieures de la société l’ont abrogé. On ne peut qu’applaudir à cette réforme ; mais il est peut-être à regretter que le duel soit également réprouvé. Dans certaines occasions, la tiédeur que met l’Italien outragé à demander la réparation d’une offense semblerait indiquer un manque de ressort dans le caractère national, surtout quand l’offensé ne pardonne pas à l’offenseur et se borne à nourrir contre lui une haine stérile. À d’honorables exceptions près, les Italiens oublient trop aisément qu’un homme de cœur ne doit jamais se condamner volontairement au supplice de la haine impuissante, et que l’impunité de l’outrage ne doit jamais être assurée.

L’influence religieuse, exagérée par l’imagination vive et mobile du peuple, a peut-être contribué plus que toute autre cause à sa démo-