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passait pour mon oncle, et il venait me voir seulement une fois par semaine à la grille du parloir. Et puis, peu à peu, je ne sais comment, il est venu plus souvent, et il restait plus long-temps, mais toujours en présence de la tourière, et il me parlait avec une bonté, mais aussi avec une sévérité qui me tenait dans la crainte, de sorte que je ne sais pas encore s’il m’aime, ou s’il a eu pitié de moi.

JULIE.

Et si tu le crains, tu ne l’aimes pas, toi ?

LOUISE.

Oh ! je l’aime plus que je ne le crains, maman !

JULIE.

Et tu consentirais à l’épouser ?

LOUISE.

Oh ! oui, si vous y consentiez !

JULIE.

Et t’a-t-il écrit quelquefois ?

LOUISE.

Oui, maman, quelquefois. Tenez, j’ai encore là une lettre que j’ai reçue hier, il ne croyait pas me voir aujourd’hui. Voulez-vous que je vous la montre ?

JULIE.

Sans doute.

LOUISE.

La voici.

JULIE, parcourant la lettre.

Il vous appelle sa fille ? Il vous tutoie ?… Il me semble que c’est le langage de la passion, si ce n’est celui de la folie.

LOUISE.

Mon Dieu ! maman, vous me faites trembler ! Qu’y a-t-il donc dans cette lettre ? Est-ce que je ne l’aurais pas comprise ?

JULIE.

La lettre est fort tendre, à coup sûr ; mais, si je t’en montrais une de cette même écriture et de ce même style, plus tendre encore, adressée à une autre femme que toi ?

LOUISE, pâlissant.

Oh ! mon Dieu ! je dirais que je me suis trompée, qu’il ne m’aime pas.

JULIE.

Cependant il te demande en mariage ! Comment expliquer ceci ? Tiens… regarde ! (Elle tire une lettre de sa poche.)

LOUISE, toute tremblante, ouvre la lettre convulsivement, et lit :

« Votre indifférence me tuera… Vous ne m’aimez pas. Vous croyez que j’en aime une autre… » (Sa voix est étouffée.)

JULIE, prend la lettre et la continue.

« Mais c’est vous seule, c’est vous pour qui je veux vivre et mourir… »