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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/865

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DE LA POPULARITÉ DE NAPOLÉON.

du bien aux hommes qu’aucun mortel ne le fut jamais, comment a-t-il compris son œuvre, comment surtout l’a-t-il accomplie ? Quels combats n’a-t-il pas rendus contre la liberté, quelles épreuves ne lui a pas préparées sa chute ? Organisa-t-on jamais un pouvoir plus oppresseur dans le présent, plus impuissant dans l’avenir ? Tout ne fut-il pas viager dans cette pensée sans lendemain, et le premier souffle de la tempête n’a-t-il pas suffi pour renverser cet arbre sans racine, à l’ombre duquel les peuples ne reposèrent jamais ? »

Si l’on envisageait à ce point de vue l’histoire de l’empire, il serait difficile de nier la rigoureuse exactitude de plusieurs de ces appréciations. Et pourtant seraient-elles justes, et les respects du monde n’auraient-ils pas bientôt rendu à cette grande mémoire le relief que l’analyse historique tenterait en vain de lui ôter ? Napoléon n’est-il pas du petit nombre de ces êtres exceptionnels dont la mystérieuse puissance résiste aux fautes même par lesquelles elle se manifeste ? N’emprunte-t-il pas toute sa force à une pensée dont il n’a pas toujours conscience, à l’encontre de laquelle il marche trop souvent, mais qui ne se retire jamais de lui jusque dans ses plus déplorables aberrations ?

Le jour était venu de balayer les ruines que les siècles avaient faites, et de constater l’impuissance de cette antique organisation que la corruption avait atteinte jusque dans ses racines. Il fallait toucher l’Europe par tous les points pour la féconder au contact de ces idées nouvelles inaugurées en France au sein de la tempête, et tout a été bon pour cette œuvre, nos désastres comme notre gloire, nos fautes comme notre génie. Qu’importe à la Providence qu’Iéna nous ait livré le royaume de Frédéric II, Austerlitz l’empire des Césars, ou que Leipsig et Waterloo aient appelé les peuples au sein même du pays chargé de cette redoutable initiation ? Napoléon les a convoqués des quatre vents du ciel à ce rendez-vous commun ; il a préparé l’unité du monde moderne, comme César prépara celle du monde antique, et le délire de ses projets a plus servi son œuvre que n’aurait fait sa prudence.

Promener dans l’univers vaincu les principes de 89, puis amener comme par la main tous les peuples de la terre au berceau même de ces principes, cette mission, l’empereur l’a accomplie tout entière par ses revers autant que par ses victoires. Personnification radieuse de cette force faite homme, il a clos pour jamais l’ère du droit historique en frayant avec les plus vieilles races royales, en brisant les unes, en exaltant les autres, en faisant de celles-ci ses victimes, de