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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/929

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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

venait de l’autre côté du Rhin auprès des admirateurs et des imitateurs du grand homme. Ennemi du christianisme dès sa jeunesse, par suite de la façon maussade dont les prédicateurs calvinistes de son père le lui avaient enseigné, il était pourtant trop habile politique pour travailler directement à l’anéantir dans ses états ; mais il ne pouvait cacher le dégoût que lui inspiraient les controverses religieuses ; il se moquait volontiers de l’orthodoxie protestante et trouvait quelque plaisir à la laisser attaquer. Aussi accorda-t-il à ses sujets la liberté de la presse en ce qui touchait les matières religieuses : il est vrai que les excursions dans le champ de la politique leur étaient interdites, et qu’on n’eût pas été bien venu à se plaindre du despotisme souvent oppresseur de l’administration civile et militaire, ou à réclamer contre les principes qui avaient présidé au partage de la Pologne[1]. À la faveur de la tolérance ou de l’indifférence du roi, une foule d’écrivains se mirent à battre en brèche l’église protestante, qui, tout en proclamant en principe la liberté d’examen, voulait emprisonner les esprits dans la lettre des confessions de foi ; et, poussant plus loin leurs attaques, ils essayèrent d’ébranler les fondemens du christianisme. Le principal organe des novateurs fut un ouvrage périodique intitulé : Bibliothèque allemande universelle, publié à Berlin par Frédéric Nicolaï, et dont l’influence fut très grande dans toute l’Allemagne. Le mouvement parti de la Prusse s’étendit promptement à tous les pays protestans, qui déjà regardaient Berlin comme leur capitale intellectuelle. Il y eut partout une espèce de croisade contre la religion chrétienne, dont l’origine divine fut niée, dont on contesta les bases historiques, dont on discrédita les livres sacrés, et dans laquelle on ne voulut reconnaître que l’œuvre d’un ambitieux imposteur, ou tout au plus celle d’un sage philanthrope qui avait trompé le genre humain pour le rendre meilleur. Il y eut en général entre l’incrédulité allemande et l’incrédulité française la même différence qu’entre le caractère des deux nations : chez nous, elle eut le ton moqueur, l’allure leste et cavalière, le ridicule fut son arme la plus habituelle ; chez nos voisins, elle fut plus grave, plus raisonneuse, plus scientifique ; mais, malgré quelques nobles protestations, elle ne fut ni moins générale ni moins active. Ce travail universel de destruction, auquel prirent part les hommes les plus remarquables du temps, ne pouvait manquer de produire une grande

  1. « Raisonnez tant que vous voudrez et sur quoi vous voudrez, disait-il, pourvu que vous obéissiez. »