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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/959

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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

en campagne. Cet immense désastre releva les espérances des nombreux ennemis que la domination française comptait en Allemagne, et détacha de Napoléon des alliés que la crainte seule avait associés à sa destinée. La Prusse, qu’il avait traitée en pays conquis depuis le traité de Tilsitt, et qu’il avait même pensé à rayer de la liste des états européens[1], donna le signal de la défection. Au mois de février 1813, Frédéric-Guillaume, qui avait quitté Berlin pour se rendre à Breslau, conclut avec l’empereur de Russie un traité d’alliance contre la France. Sa proclamation du 17 mars, où il énumérait en peu de mots ses griefs contre Napoléon, produisit un effet immense, parce qu’elle exprimait des sentimens qui étaient dans tous les cœurs. Derrière l’armée régulière qui, grace aux sages mesures prises dans les années précédentes, put être promptement portée à cent mille hommes, se leva, sous le nom de landwehr, une nombreuse milice volontaire dans laquelle on vit figurer des vieillards, des enfans et jusqu’à des femmes habillées en hommes. Ce fut là le commencement d’un grand mouvement national qui se propagea successivement dans toutes les parties de l’Allemagne, et qui donna à la guerre de 1813 un caractère tout particulier. On lui donna, dès le commencement, le nom de guerre sainte ; on la désigne encore aujourd’hui sous celui de : guerre de la délivrance (Befreyungs-krieg). Cette époque a laissé un grand souvenir dans le cœur des Allemands, parce que ce fut la première fois depuis bien des siècles, qu’unis par la haine du joug étranger, ils combattirent en frères pour un même but, l’indépendance de la patrie commune. Toutes les discordes, toutes les rivalités furent un moment oubliées : princes et peuples parlèrent le même langage, parurent animés du même enthousiasme ; les mots enivrans de patrie et de liberté retentirent dans les proclamations royales comme dans les hymnes des nouveaux Tyrtées que les soldats chantaient en marchant au combat[2] ; il y eut là un instant d’élan populaire universel qui put faire

  1. Napoléon haïssait les Prussiens, qu’il appelait les jacobins du Nord. Lorsqu’il se préparait à son expédition de Russie, il eut un moment le projet d’en finir avec la monarchie prussienne. Il avait dans tous les cas l’intention formelle de lui enlever la Silésie pour la donner au roi de Saxe.
  2. Le mouvement de 1813 donna naissance à toute une littérature patriotique où s’exhalèrent en vers brûlans et en prose véhémente les sentimens comprimés jusqu’alors par la crainte qu’inspirait Napoléon, mais fomentés avec soin par les sociétés secrètes, et même, autant que la prudence le permettait, par l’enseignement des universités. Les monumens les plus curieux de cette époque sont les chants d’Arndt, de Schenkendorf, de Koerner, le Mercure du Rhin de Goerres, etc.