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DE LA PUISSANCE ANGLAISE DANS L’INDE ET EN CHINE.

que les élémens de résistance ou de révolte ne disparaîtront du territoire de ce vaste empire que lorsque les populations auront foi, pour leur bien-être matériel et moral, dans l’avenir de la civilisation nouvelle que l’Angleterre leur impose.

Cette civilisation a pour tendance inévitable l’introduction d’un système d’idées religieuses dont la beauté et l’utilité resteront longtemps incomprises et dédaignées. Certaines formes du christianisme, il est vrai, s’éloignent moins des habitudes de la masse de la population indienne que celles de l’islamisme ; mais la religion protestante, simple et froide, surtout dans le rite de l’église anglicane, s’adressant bien plus à la raison qu’à l’imagination ou au cœur de l’homme, trouve peu de sympathie sur les rives de l’Indus et du Gange, et la domination chrétienne sous cette forme soutient une lutte dangereuse avec les habitudes séculaires, les préjugés superstitieux, la foi passionnée des Hindous et des musulmans. Ce ne sera qu’à l’aide de ménagemens extrêmes et d’immenses bienfaits qu’elle parviendra à se faire accepter. On la subit aujourd’hui, on se réfugie dans son sein comme le voyageur dans le creux d’un roche pendant l’orage ; les peuples ont même, jusqu’à un certain point, le sentiment de son intelligence et de sa force, mais elle n’a pas encore su se faire aimer.

L’Angleterre a donc à soutenir, sous ce dernier rapport, une lutte morale ; elle le sait et ne recule pas. Bien que dans ces derniers temps on ait beaucoup parlé de sa décadence et que ce prétendu déclin de la puissance britannique ait même servi de texte à divers écrits, jamais la Grande-Bretagne n’a dépensé plus d’énergie et n’a triomphé de plus d’obstacles. Victorieuse dans l’Inde, en Chine, en Syrie, elle conserve ses anciennes possessions et augmente les ressources de son avenir. C’est peut-être dans les complications redoutables de la situation intérieure du royaume-uni qu’il faut chercher le secret de son attitude extérieure. Voué à l’action, il accepte résolument ce rôle périlleux, car il comprend que pour les nations l’immobilité, c’est la mort. Quoi qu’il en soit, l’exemple de l’Angleterre prouve ce que l’on peut faire avec ce gouvernement représentatif qu’elle possède, dont nous ne lui avons guère emprunté que la forme, et qui chez elle, loin de favoriser l’indifférence et l’apathie publiques, encourage et avive une activité incessante, infatigable, féconde en lumières, en acquisitions et en conquêtes.


A. de Jancigny.