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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/726

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REVUE DES DEUX MONDES.

démontre absolument la fausseté, mais dans lequel la misère du jeune Amyot, qui fut tout simplement un pauvre écolier de l’Université de Paris, paraît avoir été singulièrement exagérée. Il m’en coûterait trop de renoncer à cette touchante anecdote du legs de 1,200 écus fait par l’opulent aumônier de France à l’hôpital où avait été recueilli le pauvre Amyot, en mémoire des 16 sous qui l’avaient empêché de mourir de faim ; mais toute l’aventure avec Henri II chez le gentilhomme du Berry, aventure qui aurait décidé de la destinée du futur traducteur de Plutarque, est une pure imagination. Henri II et l’Hôpital ne découvrirent point le mérite caché d’Amyot dans un château écarté du Berry ; car, plusieurs années avant que Henri II fût monté sur le trône, Amyot avait été recommandé à François Ier par sa sœur Marguerite, il avait reçu de lui l’abbaye de Bellosane.

Ce fait est tiré d’une vie manuscrite d’Amyot citée par Bayle, et qui paraît mériter beaucoup plus de confiance que les récits de Saint-Réal. En outre, Amyot lui-même nous apprend, dans sa dédicace des Œuvres morales à Charles IX, qu’il avait commencé la traduction de Plutarque pour François Ier. Enfin, ce qui tranche la question, c’est que Saint-Réal fait confier l’éducation des enfants de Henri II à Amyot immédiatement après la découverte de ce mérite inconnu enfoui dans un château du Berry. Or, Amyot fut nommé précepteur du jeune Charles et du jeune Henri en 1554[1] ; et à cette époque, il était déjà connu, depuis cinq ans au moins, par la traduction de Théagène et Chariclée, dont il existe une édition de 1549. Devant ce seul fait bibliographique tombe tout l’échafaudage de Saint-Réal. Amyot fut dix ans professeur à Bourges, donnant deux leçons, l’une de littérature latine le matin, l’autre de littérature grecque à midi.

Ce fut apparemment pour se délasser de ce laborieux professorat, dont la pensée seule fait trembler notre génération affaiblie, qu’Amyot traduisit les Éthiopiques d’Héliodore, ce roman où sont racontées les fidèles amours de Théagène et de la belle Chariclée, si chères au jeune Racine, qui les lisait furtivement sous les ombrages de Port-Royal, et qu’il grava dans sa mémoire, d’où la sévérité de Lancelot ne pouvait les arracher. Or, il s’agit d’un roman qui, dans la traduction d’Amyot, n’a pas moins de trois cents pages petit in-folio. Certes un pareil tour d’écolier n’est pas beaucoup à craindre de nos jours. On ne saurait se défendre d’un certain intérêt pour le livre qui

  1. Bayle dit vers 1558. Ce fut quatre ans plus tôt. Charles IX naquit le 27 juin 1550, et Amyot, dans la dédicace de la traduction des Œuvres morales de Plutarque, dit au roi : « J’ai été attaché à votre éducation quand vous aviez l’âge de quatre ans. »