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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/815

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REVUE. — CHRONIQUE.

losophie contemporaine. Le sujet qu’il s’est donné maintenant est plus grave et plus fécond il faut en convenir, et il n’en est que plus digne de son talent.


Mémoire sur le Nyâya, par M. Barthélemy Saint-Hilaire. — M. Barthélémy Saint-Hilaire, tout occupé de cette grande traduction d’Aristote dont il veut doter notre pays, a trouvé le temps de faire une excursion dans la philosophie indienne, et de nous donner un beau mémoire sur la philosophie logique de l’Inde, le Nyâya. — La connaissance du Nyâya, fort importante en elle-même, a aussi de quoi exciter l’intérêt d’un péripatéticien, puisque l’on a prétendu que ce livre avait été communiqué par les brahmanes à Callisthènes, et par Callisthènes à son oncle Aristote. Aristote, en composant l’Organon, se serait donc inspiré de la sagesse de l’Inde, et cet admirable système de logique, qui est à la fois le premier et presque le dernier mot de la science, devrait être rapporté à Gotama, dont Aristote, sur ce point, ne serait que le disciple. Ces deux systèmes de logique ont eu même fortune ; car l’Organon d’Aristote a régné souverainement sur nos écoles de philosophie au moyen-âge, et l’autorité du Nyâya est encore, de nos jours, incontestable et incontestée dans les Indes. Ce peuple indien, si peu connu, et pourtant si curieux à connaître, n’est pas un peuple sauvage et à demi barbare ; il a une philosophie très subtile et très abstraite, et une littérature qui ne manque ni d’élévation ni de charme. Il y a dans Sacountalâ plus d’une scène remplie de fraîcheur et de grace, et les épopées philosophiques, au milieu de ces fables grandioses dont l’Orient est épris, nous déroulent souvent des systèmes d’une véritable profondeur. Aujourd’hui encore les six grandes écoles de philosophie indienne sont étudiées avec ardeur, mais aucune ne compte autant de partisans que le Nyâya. Il est lu par neuf étudians sur dix ; c’est véritablement le système populaire. Dans les fêtes religieuses de l’Inde, où les brahmanes se livrent à des discussions solennelles sur des questions de philosophie, tous les honneurs sont aux pandits qui connaissent le Nyâya, et peuvent, grace à cette redoutable logique, réduire leurs adversaires au silence. L’œuvre de Gotama ne justifie pas cette vogue ; et après l’exposition qu’en a donnée M. Barthélemy Saint-Hilaire, on n’hésite pas à prononcer, comme lui, que s’il était possible qu’Aristote l’eût connue, elle ne lui aurait rien appris. Elle se compose d’un certain nombre de soûtras ou sentences, qui traitent principalement de nos facultés intellectuelles que Gotama appelle la preuve, des objets de la connaissance ou des objets de la preuve, et enfin des moyens fournis par la science pour exprimer une pensée, démontrer une assertion, ou réfuter un adversaire. L’auteur de ces sentences croit évidemment avoir poussé la science humaine aussi loin qu’elle peut aller, et rien n’est plus naïf que l’admiration qu’il a pour sa découverte. Voici le premier de ces soûtras : « La béatitude est acquise à ceux qui connaissent parfaitement ce que c’est que la preuve, l’objet de la preuve, le doute, le motif, l’exemple, l’assertion, le membre de l’assertion, le raisonnement supplétif, la décision finale, l’objec-