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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/913

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REVUE LITTÉRAIRE.

toujours bien intentionné), la propriété des termes devient de la crudité, la liberté de la négligence, l’art disparaît, et l’intention morale reste seule ; ce n’est pas assez, car il faut bien se pénétrer de cette vérité que sans la beauté du style, la perfection de la forme et l’innovation perpétuelle du détail, toutes les déclamations sur la vénalité, la corruption et autres infamies de l’époque, ne sont guère que des lieux communs dont le fonds se retrouve en prose dans les premiers Paris des journaux ; l’éloquence d’ailleurs ne suffit pas pour la poésie, il faut encore la prosodie, le rhythme et la rime ; outre la pensée, il faut la musique. Les vers de M. Barbier renferment plusieurs fautes de quantité et beaucoup de négligences de facture impardonnables dans une époque où la perfection matérielle du vers a été portée à un si haut degré. Il n’est pas possible de revenir sur un progrès acquis.

Aux Iambes écrits d’un bout à l’autre sur le mode infernal, comme le dit l’auteur lui-même, et dont le fragment d’André Chénier sur les pauvres moutons égorgés, — pendus aux crocs sanglans du charnier populaire, — semble avoir donné le ton, a succédé le Pianto, composé pendant un voyage en Italie. Ici ce n’est plus de la déclamation pure comme dans les Iambes ; la mélancolie remplace la colère. La grande fureur du premier volume est tombée, la philosophie générale succède à l’imprécation directe. La beauté des horizons et des terrains, la splendeur du ciel, la vue des chefs d’œuvre de l’art, cette heureuse facilité de la vie italienne à laquelle nul désespoir ne résiste semblent avoir adouci l’humeur âpre et farouche du poète ; il laisse refléter à son vers plus d’azur et de clarté ; ces hideuses peintures de faubourgs malsains, de voyous livides, de dogues aux mufles sanglans, aux babines baveuses, de poitrines velues et de bras rouges jusqu’aux coudes, sont déjà bien loin. Le dialogue de Salvator et du pêcheur a la sérénité mélancolique et la noblesse d’une églogue antique : le bleu de la mer et le bleu du ciel y brillent de toute leur splendeur napolitaine ; c’est un heureux mélange de la pensée et de la nature extérieure, mélange sans lequel on est un métaphysicien, un philosophe, un moraliste, mais non pas un poète. Dans l’histoire de Bianca, M. A. Barbier a su trouver sur sa sombre palette des tons clairs et charmans pour peindre Venise. Les sonnets sur les peintres et les musiciens, à part quelques irrégularités de forme, sont très beaux et très poétiques : les pièces sur le Campo-Santo, le Campo-Vaccino, déparées çà et là par quelques inutiles brutalités de style, renferment des beautés de premier ordre, et, quoique moins susceptibles d’agir sur la masse que la Curée, nous paraissent d’une exécution supérieure et d’une pensée plus élevée. Sans vouloir déprécier les Iambes, il Pianto est le livre de M. A. Barbier qui jusqu’à présent lui donne le plus de titres au nom et à la gloire de poète ; dans Lazare, il a fait des efforts trop souvent malheureux pour jeter du lyrisme sur un sujet ingrat dont les données, toutes modernes et toutes prosaïques, offrent une grande résistance à l’idéalisation. Certes, la pitié pour les malheureux part d’une belle ame et peut fournir de nobles inspirations, mais cette déploration perpétuelle devient monotone et fatigante, et ces peintures rembrunies