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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1073

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LA SUÈDE SOUS BERNADOTTE.

quelle il avait si long-temps combattu, dont il avait vaillamment partagé les périls, et qui lui avait mis au front un rayon de gloire. Mais qu’on ne croie pas, comme l’ont prétendu quelques écrivains trop faciles et trop mal informés, qu’en s’éloignant de la France pour poser le pied sur la première marche du trône de Suède, Bernadotte eût déjà des projets de rupture arrêtés. Non, j’en ai l’intime conviction, et en tenant compte même de son état de rivalité à l’égard de Napoléon, tranchons le mot, de l’hostilité qui éclata assez ouvertement au 18 brumaire, qui ne fut que palliée ensuite, et qui dut se réveiller par le peu d’empressement et de bonne grace que l’empereur mit à sanctionner l’élection de la diète d’Orebro ; non, Bernadotte, en prenant congé de Napoléon et en disant adieu à la France, ne songeait point à rompre avec Napoléon et avec la France. Et si, par malheur, il eût eu cette coupable intention, tout ce qu’il remarqua dès son arrivée en Suède aurait suffi pour l’en détourner. La Suède était depuis plusieurs siècles l’alliée de la France ; la Suède sentait bien que, dans la déplorable situation où l’avait jetée Gustave IV, elle devait chercher de notre côté son appui ; que la Russie était un plus puissant, un plus redoutable adversaire, et que, pour se défendre contre les projets d’invasion d’un tel colosse, elle n’avait pas de secours plus sincère, plus désintéressé à attendre que celui de la France. Le roi Charles XIII, appelé par une subite révolution à porter la couronne à demi brisée de son neveu, partageait à cet égard toutes les idées de la nation. Jeune, il avait valeureusement conduit les vaisseaux de son frère Gustave III contre les flottes de Catherine II. Il s’était signalé dans mainte entreprise hardie. Toute sa gloire lui venait de ses combats contre la Russie. Tous ses plus beaux, ses plus brillans souvenirs se rattachaient à cette époque de lutte ardente. Plus tard, appelé à la régence de Suède, pendant la minorité de son neveu, il s’était opposé au mariage du jeune roi avec une princesse de Russie. Dans sa vieillesse, il conservait les mêmes principes de sympathie et d’abandon du côté de la France, de défiance et d’éloignement envers la Russie, et certainement il ne les dissimula pas à l’illustre maréchal français qui arrivait en Suède pour lui succéder. Malheureusement le ton impérieux de Napoléon, les notes acerbes et violentes de son ambassadeur à Stockholm, ébranlèrent peu à peu les dispositions amicales du roi de Suède et de ses conseillers. Deux années pénibles se passèrent, véritables années d’épreuves pour la Suède. Dans le cours de ces deux années, la France prescrivait sans cesse de nouvelles conditions ; la Suède se plaignait doucement, puis se résignait, non sans comprendre toutefois l’im-