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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1092

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naient ces réunions. Parmi les hommes, on retrouvait cette politesse exquise, cette urbanité de formes et ces habitudes de prévenances aimables qui distinguent les Suédois entre tous les peuples de race germanique. Vers minuit, le roi et sa famille, avec les principaux fonctionnaires, s’asseyaient à une même table. Les convives prenaient place à des tables voisines, et un souper de façon culinaire demi-française et demi-suédoise terminait la soirée.

Dans toutes ces occasions, le roi se signalait par une grande bonté. Cette bonté lui avait acquis dans le cours de son règne des affections touchantes. De tous les fonctionnaires qui par la nature de leurs services entraient en communication journalière avec lui, il n’en était pas un qui ne lui fût profondément attaché, et parmi eux on aime à citer le comte Magnus de Brahé, héritier de l’un des plus beaux noms de la Suède, major-général de l’armée. Le roi honorait ce noble gentilhomme de sa confiance la plus intime, et le comte de Brahé répondait à la sympathie de son roi par un dévouement sans bornes. Du moment où Charles-Jean tomba malade jusqu’à celui où il rendit le dernier soupir, on a vu M. de Brahé nuit et jour fixé au chevet du lit de son maître, comme un fils auprès de son père, dissimulant sa tristesse, étouffant son angoisse, et oubliant toute fatigue, tout besoin personnel, pour ne songer qu’aux besoins du roi mourant. Les habitans de Stockholm ont été émus d’un si tendre dévouement, et ceux qui naguère enviaient la faveur dont jouissait le comte de Brahé, et ceux même qui avaient blâmé l’exercice de son pouvoir, lui ont donné plus tard une éclatante réparation. Le jour où il parut à la tête de son régiment pour prêter serment au nouveau roi, les gens du peuple, en le voyant affaibli par tant de veilles, s’écartaient silencieusement devant lui, et ses anciens adversaires le saluaient avec respect. Il nous est d’autant plus doux de citer ce fait, que parmi les hauts fonctionnaires de la cour de Suède nul ne s’est montré plus constamment que le comte de Brahé ami de la France et bienveillant envers les Français.

À cette bonté de cœur que Charles-Jean apportait dans toutes ses relations, il joignait les traits de caractère les plus disparates et les plus difficiles à concilier. De vieilles idées républicaines s’associaient en lui à des penchans d’autocratie ; il n’aimait pas la noblesse, et il ne s’entourait que de nobles. Plein de courage et de résolution dans certaines circonstances, il se montrait dans les occasions vulgaires d’une extrême pusillanimité. Ce même homme qui avait bravé la colère de Napoléon s’effrayait du mauvais vouloir d’un publiciste. Il ne savait