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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1098

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permanente, et que c’est avec celle-ci qu’il faut traiter, lorsqu’on aspire à engager la Grande-Bretagne elle-même dans des transactions importantes et durables. Ce prince, tout fasciné qu’on le suppose par le pouvoir suprême, n’est pas assez dépourvu de sens pour attendre un succès immédiat de ses démarches si actives, et pour espérer d’engager de nouveau le ministère tory dans les voies ouvertes avec une si grande habileté par M. de Brunow, en 1840, en présence d’une administration plus aventureuse. Le maintien des rapports pacifiques avec la France est en ce moment une condition d’existence pour le cabinet de sir Robert Peel : à cette condition seulement, il peut faire tête aux partis dans le parlement et aux formidables influences qui s’organisent contre lui dans le pays, sous des bannières diverses. Tant que l’Irlande sera agitée, tant que du fond de sa prison O’Connell gouvernera le tiers du royaume-uni, l’Angleterre se trouvera forcément liée à la politique de réserve inaugurée par l’administration actuelle, au moment où elle prit les affaires. Sir Robert Peel est voué aujourd’hui à l’alliance avec la France, presque aussi fatalement que M. Guizot à l’alliance anglaise ; mais ce ministre ne représente au-delà du détroit qu’une situation spéciale et transitoire. On comprend très bien en Angleterre, et l’on ne s’effraie pas de cette perspective, que des phases nouvelles et très différentes peuvent succéder à la politique qui prévaut aujourd’hui, et que, si par exemple, justice était rendue à l’Irlande, il serait possible à la Grande-Bretagne de disposer plus librement de ses forces et de ses destinées. Il n’est personne, d’ailleurs, qui ne se préoccupe à Londres de l’éventualité d’un conflit avec la France : il n’est pas un parti, pas un homme politique qui, tout en la regrettant, ne considère une pareille crise comme probable, ou tout au moins possible dans l’avenir. Dans une telle situation, l’empereur a dû penser qu’il pouvait, par son action personnelle, préparer le terrain pour des combinaisons nouvelles, et que, sans traiter avec le cabinet des questions actuellement pendantes, il était opportun de jeter dans l’aristocratie anglaise les fondemens d’un parti russe à opposer au parti français qui, depuis le ministère de lord Grey, a presque constamment prévalu dans les affaires de la Grande-Bretagne.

Quelle est en effet en Europe la situation actuelle de l’autocrate, et quel appât n’est-il pas en mesure de préparer pour le jour où l’alliance anglo-française se trouvera dissoute ? Le cabinet russe domine le continent plus qu’il ne l’a jamais fait depuis 1830. La vieillesse indolente du prince de Metternich lui livre l’Autriche, car à chaque mouvement de l’Italie la cour de Vienne se serre plus étroitement contre le cabinet de Saint-Pétersbourg. Celui de Berlin subit de plus en plus l’influence contre laquelle on se flattait vainement qu’un nouveau règne préparerait une réaction. Le roi de Prusse est un souverain fort savant, fort lettré, fort dévoué à l’école historique et à la nationalité allemande ; il déteste les Russes presque aussi cordialement que les Français, mais il hait bien plus encore les idées libérales et les théories de l’école démocratique moderne ; il croit sentir le sol trembler