Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1101
REVUE. — CHRONIQUE.

d’affirmer. Il a été prouvé que, si la totalité des impôts actuellement payés par le peuple espagnol arrivait dans les caisses publiques, il y aurait assez d’argent pour payer tous les services et même pour acquitter les intérêts de la dette. Toute la question est de centraliser la perception de l’impôt. Si une telle réforme se réalise, ce sera le plus grand pas que l’Espagne aura fait dans la civilisation ; mais l’imagination effrayée recule devant les obstacles que plusieurs siècles d’abus opposent à cette radicale innovation.

On dit que les ennemis de la réforme dans l’ordre administratif et financier ont essayé de nuire à M. Mon auprès de Narvaez. Là est en effet un grand danger. M. Mon n’est pas seulement un novateur comme financier ; c’est encore un personnage parlementaire, un homme dévoué à la liberté constitutionnelle. Il n’est pas douteux que son intention ne soit de chercher un point d’appui dans les cortès. Jusqu’à quel point cette politique sera-t-elle comprise et soutenue par Narvaez, homme d’action avant tout, et beaucoup plus disposé à croire à l’efficacité de l’épée qu’à celle de la discussion ? On l’ignore encore à Madrid, et nous ne le saurons nous-mêmes que dans quelques jours. Si MM. Mon et Pidal restent au pouvoir, il est permis de bien augurer de l’avenir de l’Espagne ; si au contraire ils sont obligés de se retirer, il ne restera plus de ressource que dans l’absolutisme militaire, et c’est là une ressource qui s’use vite, en Espagne comme partout.

L’Espagne nous amène à parler du Maroc, car nos intérêts vont probablement se trouver associés à ceux de nos voisins dans une querelle déplorable pour les uns comme pour les autres. Il est vraiment difficile de s’expliquer autrement que par la volonté de la Providence la fatalité qui jette l’Europe chrétienne sur l’Afrique musulmane, contrairement aux projets les mieux arrêtés de ses hommes d’état. Au milieu de ses embarras et de toutes les incertitudes de son avenir, l’Espagne se trouve menacée d’une lutte avec l’empereur Muley-Abderraman, et la France en a à peine fini d’Abd-el-Kader dans ses propres possessions, qu’elle le retrouve sur ses frontières à la tête d’une armée marocaine, et se voit contrainte d’entrer dans une nouvelle carrière de périls et de hasards. Les causes de cette rupture sont peu connues, les intentions personnelles de l’empereur sont encore incertaines. Peut-être la ferme attitude de nos troupes et la prompte démonstration de M. le prince de Joinville sur les côtes de cet empire suffiront-elles pour éclairer ces barbares ; on affirme d’ailleurs que la médiation de l’Angleterre est déjà offerte à la France et à l’Espagne, et il est à croire qu’elle sera acceptée par l’un et l’autre cabinet. Une guerre avec le Maroc serait une charge sans compensation éventuelle, et, dans l’intérêt de notre établissement d’Afrique, nous désirons qu’elle puisse être évitée. Ce vœu sera à la fois celui des chambres et du pays.

Un évènement qui n’est pas sans quelque importance vient de se passer à Goritz. Un prince destiné à monter sur le trône de France est mort dans l’exil. Depuis treize ans, M. le duc d’Angoulême se survivait à lui-même. Doué de qualités privées recommandables, la mort politique l’avait frappé le